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Pourquoi tant de n ?

Pourquoi tant de n ?

« Mais cette spécialiste du droit parlementaire et de la procédure législative n’en n’a cure. »
(paru sur valeursactuelles.com, le 20 septembre 2017)

 

  FlècheCe que j'en pense


Bel exemple, s'il en est, de corruption de l'écrit par l'oral. Car, cela ne vous aura pas échappé, la répétition fautive de ne résulte ici d'une confusion phonétique. La coquille est d'autant plus cocasse que l'on sait à quel point l'usager n'a cure, d'ordinaire, de ladite particule négative, passée plus souvent qu'à son tour par pertes et profits si l'on en juge par la quantité de il a pas, il est pas qui fleurissent sur la Toile. Toujours est-il qu'abondance de biens nuit quelquefois...

Mais commençons par rappeler ici que le substantif féminin cure, avant de prendre le sens usuel et médical de « traitement d'une maladie par une méthode, un médicament » (une cure d'amaigrissement, de repos, de sommeil), a d'abord signifié « soin, attention ; souci, préoccupation » : « Il receust la cure et le gouvernement de tout l'empire » (Les Grandes Chroniques de France), « Autrement la mordante cure, / Qui nous cuit l’âme à petit feu » (Ronsard), « Il ne considérait pas son exil comme le dispensant de la cure des âme » (Sainte-Beuve). Cette acception n'a plus cours de nos jours que dans l'expression n'avoir cure de, attestée depuis le XIe siècle au sens de « ne pas se soucier, ne pas tenir compte, n'avoir que faire de » : « De cela elle n'a cure » (Chateaubriand), « Il n'a cure et peu lui chaut du souper non plus que du gîte » (Verlaine), « On m'entretient de querelles, de doctrines dont je n'ai cure » (Paul Valéry).

En cas de pronominalisation du complément, il convient de ne pas se laisser abuser par la liaison entre le pronom en et la forme verbale à initiale vocalique. Aussi écrira-t-on : je n'ai cure de celaje n'en ai cure, conformément aux principes élémentaires de notre syntaxe − je n'en veux pour preuve que ces exemples puisés aux meilleures sources (thermales) : « L'âne [...] se plaint en son patois ; le meunier n'en a cure » (La Fontaine), « Quant à la valeur même de mes écrits, je vous dis qu'ils n'en ont cure » (Gide), « On a beau lui prodiguer des avertissements, il n'en a cure » (neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie). Las ! force est de constater qu'en ce domaine nombreux sont les journalistes qui gagneraient à se voir prescrire une cure de rappel. Qu'on en juge : « Le chancelier n'en n'a cure » (Le Monde), « L'intéressé n'en n'a cure » (Le Point), « Une partie des nouveaux "Corbynistes" n'en n'a cure » (L'Express), « Mais les colons [...] n'en n'ont cure » (Libération), « Emmanuel Macron n'en n'a cure » (Le Huffington Post), « Les tourtereaux n’en n’ont cure » (L'Est républicain), « De ces considérations, [ils] semblent n'en n'avoir cure » (Le Progrès).

Quand on vous dit que le métier de correcteur n'est pas une sinécure !


Remarque 1 : N'avoir cure de fait partie de ces expressions toutes faites (avec n'avoir que faire de, n'avoir garde de, qu'à cela ne tienne, n'empêche, etc.) où ne est employé seul, c'est-à-dire sans auxiliaire de négation (pas, plus, point, jamais...). Ledit ne a beau y être tenu pour « indispensable [en français moderne] » par certains spécialistes (dont Hervé Curat), la locution est également attestée, quoique plus rarement, à la forme affirmative : « Le goût du Beau, dans la seule partie du public dont le poète puisse avoir cure, s'est anobli » (Verlaine), « Je me souviens de ses cuisses, quand le peignoir s'entrouvrait sans qu'elle en ait cure » (Simenon).

Remarque 2 : La variante n'en avoir cure de est attestée de longue date : « Car li chaitif fil d'Adam n'en ont cure de vériteit » (Bernard de Clairvaux, XIIe siècle). Ce type de construction, où le complément est repris par le pronom en par effet d'insistance (Hanse) ou par simple redondance (Grevisse), est courant dans la langue familière moderne : en avoir marre de, en avoir par-dessus la tête de... On notera toutefois que, si en avoir assez de est désormais passé dans le registre usuel − comparez : « Avoir assez d'une chose, en avoir suffisamment, et, quelquefois, en être fatigué, rassasié » (Littré, 1872) et « J'en ai assez de ces bavardages ! » (Académie, 1992) −, c'est la forme « simple » n'avoir cure de qui continue de figurer dans les ouvrages de référence.

Remarque 3 : Cure désigne aussi la fonction ecclésiastique à laquelle est attachée la direction spirituelle d'une paroisse et, par métonymie, la demeure du... curé.

 

Flèche

Ce qu'il conviendrait de dire


Elle n'en a cure.

 

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