« C'était le bon [temps], madame la baronne, et plut au ciel que j'y fusse né ! »
(Alfred de Musset, Il ne faut jurer de rien, aux éditions Primento)
Ce que j'en pense
Le site Internet de la collection Candide & Cyrano des éditions Primento a beau nous jurer ses grands dieux que les versions numériques des textes de son catalogue sont proposées « dans des éditions soigneusement établies par des professionnels », force est, hélas ! de constater que les coquilles ne sont pas moins rares ici qu'ailleurs. Car enfin, il n'est que trop clair, en l'espèce, que notre éditeur a oublié de coiffer le u de plût de l'accent circonflexe que Musset lui destinait : il s'agit là, en effet, d'un imparfait du subjonctif, pas d'un passé simple de l'indicatif ! Comparez avec cette citation du Candide de Voltaire, où le verbe plaire est employé à la forme personnelle : « Je dormais profondément, quand il plut au ciel d'envoyer les Bulgares dans notre beau château. » Rien à voir, vous en conviendrez, avec l'exemple qui nous occupe, où le tour est impersonnel et elliptique : (je voudrais, je souhaiterais qu'il) plût au ciel que + subjonctif (1).
Mais là n'est pas le seul écueil que nous réserve cette construction archaïsante à double subjonctif. À en croire Thomas, « on dit indifféremment : Plaise à Dieu que... ou Plût à Dieu que... » Indifféremment ? L'Académie n'est pas loin de dresser le même constat dans les différentes éditions de son Dictionnaire depuis 1835 : Plaise à Dieu, plût à Dieu que, « façons de parler dont on se sert pour marquer qu'on souhaite quelque chose. Plaise à Dieu qu'il revienne sain et sauf ! Plût à Dieu que cela fût ! On dit aussi absolument, Plût à Dieu ! [= je le souhaite fort] » − à ceci près qu'elle laisse entendre à travers les exemples proposés que, concordance des temps oblige, plaise à réclame un subjonctif présent (ou passé), et plût à, un subjonctif imparfait (ou plus-que-parfait). Mais voilà que, divine surprise, les Immortels innovent dans la neuvième édition (2011) : « Plaise à Dieu, plût à Dieu que…, pour exprimer un souhait, un vœu, un regret. Plaise à Dieu qu'il revienne sain et sauf ! Plût au Ciel que cette nouvelle fût fausse ! » Un souhait, un vœu, et même une prière, rien que de très cohérent me direz-vous avec le subjonctif employé comme optatif, mais un regret ? La position de Girodet se veut encore plus tranchée : « 1. Plaise à Dieu, plaise au Ciel que + subjonctif exprime un souhait : Plaise à Dieu que notre ami soit averti à temps ! 2. Plût à Dieu, plût au Ciel que + subjonctif exprime un regret : Plût à Dieu que notre ami fût encore vivant ! » (2) Oserai-je avouer que cette présentation me paraît pour le moins maladroite ? Car enfin, elle donne l'impression que, par analogie avec le premier exemple qui s'interprète aisément en « je souhaite que notre ami soit averti à temps », le second signifie « je regrettais que notre ami fût encore vivant » ! Dieu merci, il n'en est évidemment rien : le sens est « (je voudrais, je souhaiterais qu'il) plût à Dieu que notre ami fût encore vivant », ce que l'on peut rendre par « si seulement notre ami était encore vivant ». D'où ma préférence pour la formulation de Léon Clédat (Revue de philologie, 1923) : « [On écrit :] Plût à Dieu ! au lieu de : Plaise à Dieu !, quand on veut marquer un doute actuel ou passé sur la possibilité de réalisation du vœu » et, a fortiori, quand on sait que celui-ci est irréalisable. Comparez (3) :
Signalons encore les variantes À Dieu ne plaise (que) et ce qu'à Dieu ne plaise, « façons de parler dont on se sert pour témoigner l'éloignement ou l'aversion que l'on a pour quelque chose », selon la huitième édition du Dictionnaire de l'Académie : À Dieu ne plaise que je vous déplaise (= je souhaite qu'il ne plaise pas à Dieu que je vous déplaise, d'où Dieu fasse que je ne vous déplaise pas) ou Si je vous déplais, ce qu'à Dieu ne plaise (= Dieu fasse que cela n'arrive pas), je quitterai cette maison. Il est à noter que dans la seconde forme, employée sans régime et le plus souvent en incise, le pronom sujet ce renvoie au contexte qui précède.
Vous trouvez ces formules un rien désuètes et par trop difficiles à manier ? Grand Dieu ! Mieux vaudrait alors prudemment vous en tenir, selon le contexte, à pourvu que, si jamais, si seulement ou autres équivalents. Puisse au moins le ciel vous garder de commettre une horreur du genre de celle trouvée dans cette traduction d'Homère datée de 1785 : « Ô reine, dit le sage héraut, plaisent aux dieux que ce soit là ton plus grand malheur ! » Dieu sait à quel point le diable est dans les détails...
(1) Dans les constructions du type Plaise (ou Plût) à Dieu (ou au ciel, à la providence, aux dieux...) que..., c'est la proposition conjonctive complétive qui suit qui est sujet réel de plaise (ou plût).
(2) On lit de même dans le Larousse en ligne, à propos des emplois absolus : « Plaise à Dieu s'emploie plutôt à propos d'un espoir, plût à Dieu à propos d'un regret : si je deviens riche un jour, plaise à Dieu... Mais : si j'étais encore jeune, plût à Dieu... »
(3) Cette répartition des rôles − ignorée par Thomas, donc, mais aussi par Littré − remonterait à l'adverbe latin utinam, qui s'employait de même (quoique sans référence à une force supérieure) avec le subjonctif présent ou parfait pour exprimer un souhait réalisable et avec le subjonctif imparfait ou plus-que-parfait pour marquer un souhait irréalisable ou un regret.
Remarque : Ces tours sont attestés de longue date, d'abord sans la préposition à (sur le modèle du datif latin) et souvent avec l'adverbe ja qui se disait autrefois pour « déjà, à présent » : « Ne placet Deu ne ses sainz ne ses angeles » (Chanson de Roland, XIe siècle), « Et ja Dieu ne plaise que je vive plus ! » (Roman de Troie, vers 1160), « Pleüst a Dieu que fuisse cuites » (Guillaume d'Angleterre, vers 1165), « Car pleüst Deu que tuit ansanble / Fussent or ci avoeques nos ! » (Chrétien de Troyes, vers 1180), « Je revenray, mais qu'a Dieu plaise, / Avant que relevez, ce croy » (Le Miracle de l'enfant ressuscité, 1353), « Ja ne plaise a Jhesucrist que je te laisse en ceste adventure » (Jean d'Arras, vers 1393), « Plaise a Dieu de vous secourir / Selon vostre neccessité ! » (La Passion d'Auvergne, 1477), « A Dieu ne plaise que jamays je vous deusse diffamer » (John Palsgrave, 1530), « Les Evesques aussi, si, ce qu'à Dieu ne plaise, ilz ne s'abstiennent d'un tel crime » (Gentien Hervet, avant 1564), « Ia à Dieu ne plaise [...] que philosopher ce soit apprendre plusieurs choses » (Montaigne, 1580). Curieusement, les ouvrages de référence consultés passent sous silence les formes À Dieu ne plût (que) et ce qu'à Dieu ne plût, qui, bien que plus rares, n'en sont pas moins attestées : « Ia à Dieu ne pleut que pour luy demeurast à faire un si grand bien » (Jean Chartier, avant 1464), « Ja dieu ne plust que il amenast le corps de dieu en prison » (Pierre de Veyre, 1527), « Par ainsi qu'il jugeoit (ce qu'à Dieu ne plust) que [...] » (Michel de Castelnau, 1563).
Ce qu'il conviendrait de dire
Plût au ciel que j'y fusse né !