« France - Belgique : La fan zone de Paris déchaînée au coup de sifflet final. »
(paru sur rmcsport.bfmtv.com, le 10 juillet 2018)
Ce que j'en pense
Loin de moi l'intention de casser l'ambiance, mais enfin, avouez que le composé fan zone, quand il associerait deux termes déjà lexicalisés en français, sent l'anglicisme à plein nez (1). Le bougre, peut-être apparu dans le milieu de la formule 1, désigne un espace de rassemblement où les supporteurs (2) ne disposant pas de billets peuvent assister à la diffusion en direct d'une manifestation sportive dans les meilleures conditions de convivialité (écran géant, animations gratuites proposées par les sponsors, pardon par les parraineurs, buvettes, etc.) et de sécurité possibles.
L'Académie, dans un article paru en 2016, écrit tout le mal qu'elle pense de cet emprunt : « On peut regretter que l’abréviation anglaise fan ait éliminé l’abréviation familière française fana, deux formes remontant, par l’intermédiaire de fanatic et de fanatique [3], au latin fanaticus, lui-même dérivé de fanum, qui désignait un temple et, plus précisément, un espace consacré » − gageons, dans ces conditions, que l'équivalent zone de(s) fans ne la satisferait pas davantage ; et seul un fada pourrait miser sur le succès de zone de fanas... Surtout, les académiciens insistent sur le fait que « ce système d’apposition [propre à l'anglais] est tout à fait éloigné du génie de la langue française, qui préfère recourir à des tours prépositionnels, et que, s’il est regrettable d’altérer notre vocabulaire, altérer les structures de notre langue l’est plus encore. Il est tout à fait possible de trouver sans mal des équivalents français comme zone, espace réservés aux supporteurs pour désigner cette réalité ». Las ! ce louable effort de traduction semble d'entrée de jeu voué à l'échec quand on sait le tribut que nos sociétés pressées sont prêtes à payer à la brièveté : allez persuader un supporteur hystérique de dire en huit syllabes ce qu'il peut formuler en deux !
Pour autant, la concision de l'anglais fan zone ne doit pas occulter les hésitations graphiques qui accompagnent sa naturalisation : trait d'union (comme dans fan-club), soudure, majuscules, guillemets, genre, pluriel, il n'est probablement pas de rédaction où l'on ne se soit posé ces questions. Jugez-en plutôt : « La fan-zone de l'Hôtel de Ville » (France Soir), « Créer une fanzone » (France Info), « Une FanZone » (Télé Loisirs), « Aux abords de la Fan Zone » (Ouest-France), « La décision de ne pas accueillir de Fan zone » (20 minutes), « La "fan zone" sera reconduite » (France Bleu), « Au cœur d’un fan-zone » (Le Monde), « Les fan-zones en Russie » (L'Équipe), « Quelle(s) fan(s) zone(s) pour la finale ? » (La Nouvelle République), etc. La palme de l'indécision revient au site Internet du ministère de l'Intérieur, où se succèdent, parfois dans un même document, les graphies une fan-zone, une fans-zone, la fan zone, la fans zone, les Fan zones, les Fans-zones, les fans zones, les fan zones. Il y a des cartons rouges qui se perdent...
Alors quoi ? Point de solution idéale en vue ? Les formations plaisantes fanagora et fanarena, bien que préservant artificiellement l'abréviation fana, présentent l'inconvénient, pour la première, d'associer une racine latine (fanum) à une racine grecque (agora, « lieu où l'on se réunit »), pour la seconde, d'introduire une idée (latin arena, « sable ») étrangère à notre affaire. Qui dit mieux ?
En attendant, fan zone vient de faire son entrée dans le Dictionnaire Hachette 2018 (sous la direction de Bénédicte Gaillard). Je crains fort que le match ne soit déjà plié...
(1) « Fan zone : an area outside or away from a sports stadium for people to watch the game on a large screen » (Cambridge Dictionary).
(2) La graphie supporteur est attestée dès le XVIe siècle au sens de « celui qui apporte son appui, son soutien » (chez Guillaume Postel, en 1553), de « partisan, complice » (chez James Howell, en 1660) et aussi de « celui qui supporte, qui endure avec courage » (1573).
(3) Rappelons ici que fanatique, adjectif et nom, s'est d'abord dit d'une personne qui se croit inspirée de l'esprit divin, puis de quelqu'un qui est animé d'un zèle aveugle envers une religion, une doctrine, et, par affaiblissement, d'un amateur passionné.
Ce qu'il conviendrait de dire
La zone des supporteurs (?) de Paris.