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« Enfant, mes parents m’autorisaient de tout lire. »
(Michel-Édouard Leclerc, sur son blog, le 14 octobre 2017)

 

 

  FlècheCe que j'en pense


Bel exemple d'anacoluthe (1), s'il en est ! Mais là n'est pas l'objet de ce billet. Intéressons-nous plutôt au verbe autoriser. J'en étais resté, pour ma part, à un transitif direct pouvant se construire avec un infinitif complément introduit par à (2) : autoriser quelqu'un à faire quelque chose (« lui en donner la permission, le pouvoir ou le droit ») et non pas autoriser quelqu'un de faire quelque chose (ni autoriser à quelqu'un de faire quelque chose, sous l'influence des verbes permettre, interdire). Je n'en veux pour preuve que ces exemples puisés aux sources les plus autorisées : « À ne vous rien cacher son amour m'autorise » (Pierre Corneille), « Mes torts ne vous autorisent point à violer vos promesses » (Jean-Jacques Rousseau), « Auguste n'était pas autorisé à la traiter en maître » (Émile Zola), « Orphée fut autorisé à aller chercher sa morte ressuscitée » (Jules Supervielle), « Elle avait demandé à son père de lui donner sa dot et de l'autoriser à vivre à Paris » (André Maurois), « Je vous autorise à venir me faire une scène ici » (Jules Romains), « Rien ne vous autorisait à le tuer » (Marcel Aymé), « Je ne vois vraiment pas ce qui dans mon attitude a pu vous autoriser à me traiter de coquebin » (Jean Anouilh), « Votre mère m'autorise à prélever sur sa dot les sommes nécessaires au rachat du cheptel » (Hervé Bazin).

Sans doute m'objectera-t-on, à la décharge du contrevenant, que autoriser (quelqu'un) de est attesté dans l'ancienne langue à côté de autoriser à : (suivi d'un nom) « [Il] authorisa le prince d'Hespaigne son fils de la surintendance de son conseil » (Vincent Carloix, XVIe siècle), « Le larron, du pillage estant authorisé, repille effrontément sans crainte du supplice » (Pierre de Brach, XVIe siècle) ; (suivi d'un infinitif, surtout dans la langue administrative ou juridique) « Quelque passage de Bulle ou d'acte légitime d'Archevêque, qui les autorise de faire des Visites » (Défense de l'exemption et de la jurisdiction de l'abbaye de Fescamp, 1689), « Les demandes et doléances que Sa Majesté les autorise de faire dans l'assemblée qui doit se tenir » (Cahiers de doléances, 1789), « [Un décret] les autorise de faire acheter chez les particuliers » (Archives parlementaires, 1793). Mais ça, c'était avant ! De nos jours, mieux vaut ne pas s'autoriser trop de libertés si l'on veut éviter de verser dans l'archaïsme... voire carrément dans le solécisme, à en croire André Moufflet : « En vertu de la règle [selon laquelle de indique l'origine, quand à indique la destination et se rapporte à l'avenir] on condamnera la tournure suivante : Je ne puis vous autoriser de prendre actuellement une permission de trente jours » (Contre le massacre de la langue française, 1931). Un usager averti en vaut... de(ux) !

(1) Vous m'autoriserez à rappeler ici qu'une anacoluthe − du grec anakolouthos (« qui n'est pas à la suite de, qui n'est pas conséquent avec ») − est une rupture dans la construction syntaxique d'une phrase. En l'espèce, le nom apposé enfant ne renvoie pas au sujet mes parents, comme le voudrait une grammaire stricte, mais au complément d'objet m'.

(2) Il y a hésitation sur la fonction grammaticale dudit infinitif : complément d'objet direct (COD) ? complément d'objet indirect (COI) ? complément circonstanciel de but (CCB) ? Jean-Paul Jauneau se contredit lui-même entre les deux tomes de son livre N'écris pas comme tu chattes : « On dit autoriser quelqu'un (COD) à faire quelque chose (CCB) » (Tome 1), mais « C'est toute la proposition, formée par le nom ou le pronom sujet et par l'infinitif lui-même, qui est COD. Je vous autorise à sortir (= j'autorise que vous sortiez) » (Tome 2), sous le prétexte que « la question posée après le verbe est quoi ? et non à quoi ? » et que la transformation à la voix passive donne « Sortir vous est autorisé » sans recourir à à (que les grammairiens qualifient dans ce cas d'introducteur d'infinitif, de subordonnant ou de préposition vide). Seulement voilà, si c'est l'ensemble sujet de l'infinitif + infinitif + compléments éventuels de l'infinitif qui forme une subordonnée infinitive COD, comment expliquer l'accord « Le médecin a autorisé Marie à sortir. Il l'a autorisée à sortir » préconisé par Bescherelle ?


Remarque : Le tour autoriser quelque chose à quelqu'un, bien que déconseillé par Hanse, se trouve sous quelques bonnes plumes : « Heureusement il y avait les parties de foot sur la plage, les osselets de Virgilio et le cinéma le dimanche après-midi lorsque les aînés nous l'autorisaient » (Joseph Joffo), « Elle [une statue] boit le spectacle que lui autorise son œillère jusqu'à la lie de la perpétuité » (Yann Moix), « [Il] lui autorise l'accès aux toilettes du chantier » (Virginie Despentes). L'Académie a beau feindre de l'ignorer dans la dernière édition de son Dictionnaire − sans doute lui préfère-t-elle permettre quelque chose à quelqu'un ou autoriser quelque chose (sans COI) −, elle accueille sans barguigner la construction pronominale associée s'autoriser quelque chose. Comprenne qui pourra !
Rappelons à ce sujet que le pronominal s'autoriser se construit avec de + nom au sens de « prendre prétexte de, s'appuyer sur, se prévaloir de », avec à + infinitif au sens de « se donner le droit, la permission de » ou directement avec un nom au sens de « s'accorder (quelque chose) » : « Il s'autorise de votre exemple pour agir ainsi. Il justifiait leur conduite pour s'autoriser à les imiter. De temps à autre il s'autorise une plaisanterie. Il ne s'autorise aucun répit » (neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie) − on a aussi dit autrefois : Il s'autorise roi (au sens de « s'attribuer le pouvoir royal ») et Les coutumes s'autorisent par le temps (au sens de « acquérir de l'autorité »). C'est donc à tort, me semble-t-il, que Jean-Paul Jauneau laisse planer un doute dans son ouvrage déjà cité : « En ce qui concerne un verbe comme s'autoriser à, on peut se demander si le pronom réfléchi est COD (on autorise soi-même à faire quelque chose) ou COI (on autorise à soi-même de faire quelque chose). » Seule la première analyse est recevable.
Attention à l'accord du participe passé : Ils se sont autorisés de vos arguments pour le critiquer. Elle s'est autorisée à le critiquer. Elles se sont autorisé une critique. La critique qu'elles se sont autorisée.

   

Flèche

Ce qu'il conviendrait de dire


Quand j'étais enfant, mes parents m’autorisaient à tout lire.

 

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L
Bonjour,<br /> faut-il dans la phrase suivante accorder "autoriser" avec "choses", ou avec le sujet "je" qui est une femme, ou avec la proposition infinitive "faire des choses" ?<br /> Je m’en sers comme d’un atout pour faire des choses que je ne me serais pas autorisées avant.<br /> Je pencherais pour la première solution. Elle s'est autorisé des choses.<br /> Merci de votre confirmation ou infirmation
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C
La construction de ce verbe pose un autre problème qui n'est pas directement traité dans votre excellent billet. À la forme pronominale, lorsque le C.O.I. n'est pas une forme verbale, doit-on le construire aussi avec la préposition « à » ? <br /> Autrement dit, doit-on écrire :  Elle s'est autorisée « une fantaisie » ou « à une fantaisie » ? En toute rigueur, la préposition me semble indispensable, mais on ne voit la tournure que rarement écrite ainsi. Étant donné qu'on n'autorise jamais « à quelqu'un », on aurait donc deux C.O.D. pour le même verbe…<br /> Je n'ai rien trouvé de pertinent chez Grevisse ou dans le TLFi : mes derniers espoirs résident donc dans votre immense sagacité...<br />  
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