• Paris vaut bien une olympiade

    Olympiades

    « Les Chevaliers du Fiel se chauffent pour les Olympiades.
    Le duo toulousain ne pouvait rater l'occasion d'épingler la frénésie autour de Paris 2024. »

    (Sylvie Roux, sur ladepeche.fr, le 9 mars 2024)

      

    FlècheCe que j'en pense


    Sans doute devrait-on décerner à l'Académie la médaille de l'opiniâtreté. Car enfin, l'arbitre de la langue ne nous a-t-il pas mis en garde à trois reprises ?

    « Le mot olympiade ne saurait désigner les Jeux olympiques mais désigne l'espace de quatre ans qui s'écoule entre deux célébrations de ces jeux » (communiqué du 5 novembre 1964).

    « Il est déconseillé d'employer le terme olympiades pour désigner les Jeux olympiques eux-mêmes » (neuvième édition de son Dictionnaire, 2011).

    « Le nom olympiade désigne la durée de quatre ans qui, en Grèce antique, séparait la tenue des Jeux olympiques ; la liste des olympiades servait d'ailleurs de référence dans le système de datation des Grecs, qui prenaient comme point de départ la première olympiade, qui commença en 776 avant Jésus-Christ. On ne doit pas confondre ce terme avec les Jeux olympiques comme cela se fait trop souvent depuis la renaissance de ces derniers, en 1896 » (rubrique Dire, ne pas dire de son site Internet, 2016).

    Déjà, en 1922, l'académicien Jean Richepin, président du Comité de Lettres-Arts-Sports, s'était ému de cette confusion dans une lettre adressée aux clubs sportifs et aux journaux de l'époque :

    « Un très vieux mot, un mot grec vieux de 2 700 ans, et qui est un beau mot, est en train, sous des efforts tenaces, de glisser au barbarisme : c'est le mot olympiade. Chacun sait que olympiade désigne la période de quatre années qui séparait, en Grèce, la célébration des Jeux Olympiques, et il n'est que plus étrange de constater que ceux qui savent se laissent imposer, par ceux qui ne savent pas, un faux sens caractérisé. C'est tous les jours, en effet, que nous voyons ou que nous entendons le mot olympiade employé pour désigner la fête olympique elle-même [...]. Or c'est à peu près comme si l'on donnait le nom d'“année” à la journée du 1er janvier, couramment appelée "le jour de l'an". »

    Et puisque l'important est de participer, Coubertin lui-même s'était volontiers prêté au... jeu pour relayer la leçon de bon langage :

    « Je n'aurai pas besoin de rappeler qu'une olympiade est un intervalle de calendrier, intervalle de quatre années dont on célèbre l'ouverture par des jeux [...]. Il est donc incorrect historiquement et grammaticalement de faire du mot olympiade l'équivalent de Jeux olympiques et quand on dit, comme certains le font vulgairement, "les Olympiades d'Amsterdam", on profère un double barbarisme qui écorche les oreilles » (Olympie, conférence donnée à Paris en 1929).

    Seulement voilà : le barbarisme n'est pas aussi flagrant qu'il en a l'air, et l'affaire, à y regarder de près, est bien plus complexe que ne le laissent entendre Richepin et Coubertin. C'est un (autre) académicien qui le dit :

    « [D]es puristes imaginaires vont déclarant à tout venant que l'olympiade est une "période de quatre ans, entre deux célébrations successives des Jeux olympiques [...]", et que, partant, appeler les Jeux olympiques eux-mêmes "les olympiades" est aussi ridicule qu'il le serait d'appeler des jeux séculaires "les siècles". Oui et non.
    Avant de prononcer une condamnation si catégorique, peut-être faudrait-il rechercher le sens originel du mot grec dont nous avons fait olympiade. Or, il semble n'avoir désigné d'abord que la fête de Zeus Olympios, occasion de la célébration des jeux, et seulement ensuite l'intervalle de quatre ans qui séparait deux célébrations de ces jeux [1]. La fête de Zeus Olympios et les Jeux olympiques n'étant pas une même chose, de ce que la fête s'appelait l'Olympiade il ne s'ensuit pas que l'on pût légitimement donner aux jeux ce même nom, et il est vrai que l'on appelait couramment les jeux ta olumpia ; remporter la victoire aux Jeux olympiques, ta olumpia nikan ; mais Hérodote a écrit, et tous les dictionnaires citent cet exemple : olumpiada nikan.
    Je sens que les personnes qui disent et qui écrivent "l'olympiade de Berlin" vont aussitôt marquer un point et me remercier [...]. Eh bien, en dépit de l'origine première d'olumpias (fête de Zeus Olympios), et malgré l'exemple d'Hérodote, je ferais, quant à moi, scrupule d'écrire "l'olympiade de Berlin", et, supposé même que ce soit une faute défendable, je pense que c'est une faute.
    Les Latins, qui ont emprunté des Grecs le nom officiel des Jeux olympiques, Olympia, ne se sont jamais autorisés de l'exemple, peut-être unique d'Hérodote, pour les nommer olympiade. C'est seulement depuis la restauration moderne des jeux que l'on trouve cette confusion chez les Français, et l'on me permettra de douter qu'ils en soient allés chercher la justification dans leur dictionnaire grec ou dans les histoires d'Hérodote. [Sans doute préfèrent-ils] à Jeux olympiques, soit, au télégraphe, deux mots, olympiade qui n'en fait qu'un.
    Aux temps heureux où, faute de télégraphe, on pouvait ignorer ces économies de bouts de mots, jamais les écrivains français, non plus que les latins, ne se sont avisés de dire olympiade pour Jeux olympiques. "Olimpiade, dit notre vieux Richelet, c'est le cours de quatre ans entiers, espace de quatre ans. Les Anciens comptoient par olimpiades, etc. » (Abel Hermant, journal Le Temps, 1936).

    Avouez qu'il y a de quoi y perdre son grec et son latin !
    La querelle littéraire autour du mot olympiade était lancée et menaçait de tourner au pugilat, tous les quatre ans, entre les tenants de la position de l'Académie :

    « Une fois de plus et à l'envi, par ignorance ou par distraction, tout le monde a écrit : l'Olympiade d'Anvers ou, pis encore, les Olympiades de 1920. [Rappelons que, en bon grec,] le mot olympiade a un sens purement chronologique » (revue Le Cri de Paris, 1920), « Avez-vous remarqué l'emploi tout à fait incorrect que l'on fait chez nous − et probablement ailleurs aussi − du mot olympiade [...] ? Par une étrange impropriété de termes, on confond les jeux olympiques avec l'intervalle même qui séparait ces solennités fameuses » (Philippe Godet, La Gazette de Lausanne, avant 1922), « Révoltons-nous, après tant d'autres, contre olympiade » (André Moufflet, Le Français, langue malade, 1925), « On ne peut donc parler des Olympiades d'Oslo, mais des Jeux olympiques d'Oslo » (Pierre Chessex, Écrivons et parlons mieux, 1954), « Il ne faut pas faire le contresens de qualifier d'olympiade les jeux Olympiques » (Fernand Feugère, Le Figaro, 1964), « Se garder d'employer olympiades pour désigner les jeux Olympiques eux-mêmes » (Thomas, 1971), « La piteuse confusion entre ce qu'est une olympiade et ce que sont les Jeux olympiques » (Frédéric Schlatter, La Gazette de Lausanne, 1972), « Ne pas dire les olympiades pour désigner les jeux Olympiques » (Girodet, 1986), « Jeux, JO, oui ; Olympiades, non » (Pierre Bénard, Le Figaro, 2000), « Il est incorrect de faire d'olympiades un synonyme de jeux Olympiques » (Jean-Pierre Colignon, 2024),

    et les supporteurs du camp adverse, prompts à tirer parti des arguments étymologiques d'Hermant :

    « Olympiade signifie bel et bien "jeux olympiques", surtout en grec. C'est même son sens premier et essentiel » (André Thérive, Querelles de langage, 1928), « Le double sens du mot [Olympiade] correspond aux nécessités de la langue vivante » (communiqué du Comité d'organisation des Jeux Olympiques, 1934), « Jeux olympiques. Cet athlète se prépare pour les prochaines olympiades » (Robert, à l'article « olympiade », 1959), « [Le grec olumpias signifie] à la fois "Jeux Olympiques" et "période de quatre ans qui s'écoulait entre deux célébrations des Jeux" [...]. Cependant, les puristes sont si fortement persuadés, en dépit d'Hérodote et de Pindare, que ce deuxième sens est le seul valable qu'on entend traiter d'ignorants ceux qui se risquent à dire que les prochaines Olympiades auront lieu dans telle localité ! » (Dupré, 1972), « Une olympiade est la période de quatre ans entre deux Jeux olympiques, remarquez le singulier ; au pluriel, et avec capitale, c'est le synonyme de Jeux olympiques (bien que l'Académie française n'en soit pas d'accord) » (correcteurs du Monde.fr, 2012).

    Pas sûr, de nos jours et dans ces conditions, que le sportif amateur soucieux de la langue (si si, il y en a...) sache, d'entrée de jeu(x), vers quelle équipe se tourner. D'autant que l'argumentation d'Abel Hermant − horresco referens ! − est loin d'être impeccable. Reprenons les choses depuis le début.

    Olympiade est emprunté, par l'intermédiaire du latin olympias, -adis, de l'adjectif grec olumpias, -ados, dont l'helléniste Anatole Bailly nous détaille les différentes acceptions suivant leur ordre d'apparition :

    « I. Habitante de l'Olympe (Hésiode, Sophocle, en parlant de nymphes, de muses...).
    II. D'Olympie, d'où substantivement :
    1 célébration des jeux Olympiques (Hérodote, Pindare, etc.) ; olumpiada nikan (Hérodote, Simonide) remporter la victoire aux jeux Olympiques,
    2 période de quatre ans (Thucydide, Xénophon, Plutarque) » (Dictionnaire grec-français, 1895) (2).

    Ce que Bailly ne précise pas, c'est que olumpiada, dans olumpiada nikan, serait un « accusatif singulier féminin dépendant de panegurin ["fête"] sous-entendu » (Jean-Baptiste Gail dixit dans Le Philologue, 1818). Toujours est-il que nous avons là la confirmation que le mot a désigné, pour les Grecs − et pas seulement pour Hérodote −, la fête (de Zeus Olympios) aussi bien que les jeux (fût-ce au prix d'une ellipse), avant de servir d'unité de temps. En fut-il de même pour les Romains ? Il semble que non, si l'on en croit les lexicographes du latin, lesquels ne consignent à ma connaissance que le sens chronologique du nom commun (3). Là où Hermant se trompe lourdement, c'est sur la partie française de son analyse. Il n'est, en effet, que de consulter les dictionnaires d'ancienne langue pour s'aviser que toutes les acceptions grecques sont passées dans notre lexique depuis des lustres. Jugez-en plutôt :

    (« Période de quatre ans révolus ») « Olympiade est espace de .iiij. anz » (Pierre, seconde moitié du XIIIe siècle, cité par Paul Meyer), « Car jadis les Grecs comptoient les ans par olimpiades » (Simon de Hesdin, vers 1380), « Le thier an de la XIIIe olimpiade » (Jean d'Outremeuse, avant 1399), « Les ans de l'incarnacion Et de l'Olimpiade dicte » (Eustache Deschamps, vers 1400), « [Aristote nasquit] en l'an premier de la 99. Olympiade » (Gentien Hervet, 1567).

    (« Ensemble des compétitions sportives qui se déroulaient à Olympie après quatre ans révolus ; [relatif aux] jeux olympiques ») « Hercules establi la lite [mis pour luite, "lutte, combat"] olimpiade » (Jean de Vignay, vers 1330 ; notez l'emploi de olimpiade comme adjectif), « En le jeu de Olimpiades estoit coroné » (Nicholas Trivet, vers 1334), « Et pour ce, aussi come es Olimpiades, les tres bons et les tres fors ne sont pas coronnés, mais ceuls qui bien besoignent » (Nicole Oresme, vers 1370), « Lequel avoit eue victoire en olimpiade » (Id., vers 1374), « Il gaingna la coronne en la .xxxiii.e olimpiade » (Simon de Hesdin, vers 1380), « Es gieus olimpiades qui sont gieus de apertise et gieus de force » (Évrart de Conty, vers 1380), « Olimpiades se faisoient ou mont Olimpus [4] ou le plus fort et le myeulx combatant avoit la couronne » (Jean Miélot, 1460), « Les jeux [...] que l'on appella Olympiades » (Simon de Phares, 1498), « [Quatre] chevaux pour mener aux jeux de la feste Olympiade [...]. En ceste mesme Olympiade [...] fut adjouxtee la course du chariot à deux chevaux » (Jacques Amyot, 1553), « Te voila donc vaincueur [...] et es coronné aux olimpiades » (Filbert Bretin, 1581), « 1. Olympiade, ou Jeux Olympiques restablis et finis de quatre en quatre ans par Ip[h]itus » (Jean Doujat, 1672).

    (« Déesse de l'Olympe ») « Muses aquariades, Nayades [...], fresches Olympiades » (André de La Vigne, 1501), « [On appelloit les Muses] Olimpiades à l'imitation d'Homere, qui souvent les qualifie habitantes és maisons de l'Olympe, c'est à dire du ciel » (Jean de Montlyard, 1597).

    Et le fait qu'Hermant se réclame du Dictionnaire (1680) de Richelet n'y change rien. On lui opposera celui de Moréri : « Olimpiades ou Olimpiques, Jeux celebres de Grece » (1674) ou encore le Nouveau et Ample Dictionnaire de trois langues (française, italienne et allemande) : « Olympiades, olimpiade, die Olympische Spiele » (1674).
    La découverte du site archéologique d'Olympie, en 1766, remet en honneur le mot olympiade sous la Révolution (la première « olympiade de la République » s'est tenue à Paris en 1796) et favorise la diffusion, dans la foulée, de son acception non chronologique :

    « Quelle réserve dans le récit de leurs olympiades ! » (Revue de Paris, 1844), « La tenue de concours périodiques, tels qu'étaient les Olympiades de la Grèce antique » (Alphonse Chaudron de Courcel, 1894), « M. de Coubertin ouvre le séance en rappelant brièvement pourquoi les prochaines olympiades se dérouleront à Londres » (revue L'Éducation physique, 1902), « Nous avons été battus par l'Amérique à l'Olympiade de Stockholm » (Joseph Paul-Boncour, 1912), « Il aura été plus intéressant [...] de lire les comptes rendus des Olympiades que de les suivre elles-mêmes des yeux » (Jean Giraudoux, 1920), « J'ai donc vu avec joie l'annonce des Olympiades, ou Jeux Olympiques de 1924 » (Eugène Montfort, 1922), « Trente-six millions de sportifs bourgeois, subissant l'influence impérialiste de la France, organisent une olympiade à Los Angeles » (Eulalie Piccard, 1932), « À son retour de Perse [...], Hérodote lit aux Jeux Olympiques, en 456 avant J.-C., une relation de son voyage (excellente coutume que nous souhaiterions voir reprendre aux prochaines Olympiades) » (Paul Morand, 1935), « Des sportifs étrangers venus pour les Olympiades » (Malraux, 1937), « À l'olympiade de 324 » (René Grousset, 1949), « Les vainqueurs des dernières olympiades, un à un, paraissent sous les platanes sacrés » (Maurice Genevoix, 1960), « [Les] caramels des Olympiades de Berlin » (Patrick Rambaud, 1970), « [Le spectacle] des Olympiades de Mexico où les coureurs noirs, sur le podium, acceptèrent les médailles d'or en saluant poing fermé » (Jean Genet, 1977), « Je n'ose pas imaginer ce que penserait un contemporain de Périclès, pour qui le mot "Olympiade" signifiait grâce, force, beauté, paix sur la terre, devant ces étalages d'animaux de concours » (Jean Dutourd, 1977), « On compare beaucoup ces temps-ci les Olympiades de Berlin en 1936 à celles de Moscou en 1980 » (Marek Halter, 1991), « Les Olympiades de Sarajevo » (Bernard-Henri Lévy, 2004), « Admirateur de Hitler, [Coubertin] défend le choix de Berlin pour les Olympiades de 1936 » (Dictionnaire de l'histoire de France, sous la direction de Jean-François Sirinelli, 2006), « Les parades à relents nationalistes dont les Olympiades de Pékin nous imposent quotidiennement l'image » (Jean Clair, 2009), « En 1924, ils représentaient tous deux l'Angleterre aux Olympiades de Paris » (Jean Tulard, 2013).

    N'en déplaise une fois de plus à Hermant, ces emplois s'expliquent moins, de nos jours, par la volonté de gagner en concision (JO fait un bien meilleur candidat) que par le souci d'éviter les répétitions : « Pour ne pas réemployer les mots Jeux olympiques, la tentation d'utiliser le terme olympiade peut être forte » (Le Français facile avec RFI, 2023).
    Du reste, c'est surtout en dehors des stades que le mot s'est imposé, avec le sens étendu de « compétition [dans quelque domaine que ce soit] organisée selon le modèle des Jeux olympiques » :

    « France, voici le jour de tes Olympiades ! » (Jouvet-Desmarand, Poésie à l'occasion de l'Exposition de 1827), « Les Olympiades de l'Académie des Poètes » (Auguste de Vaucelle, 1872), « L'Olympiade d'échecs à La Haye » (Les Dernières Nouvelles de Strasbourg, 1928), « Les élèves qui auront brillé dans les concours (dits "olympiades") de mathématiques et de physique » (Georges Cogniot, 1959), « Je n'avais pas l'intention de participer cette année aux Olympiades du beau langage » (René Georgin, 1966), « Le Concours général, c'est les Olympiades de l'Université » (Jean Dutourd, 1978), « Les Olympiades d'orthographe de la ville de Tournai » ; « Sorte d'olympiade de l'ascèse : épreuve de réclusion comme saut à la perche » (Roland Barthes, 1977), « Le sentiment de participer à une olympiade mentale » (Marc Lambron, 2004).

    Mais ce n'est pas tout. À ces désaccords sémantiques sont venues s'ajouter des hésitations formelles. Il ne vous aura pas échappé que olympiade comme jeux olympiques sont mis à toutes les sauces orthographiques : avec ou sans la marque du pluriel (pour le premier), avec ou sans majuscule (pour les deux). Il faut dire, là encore, que les spécialistes de la langue ne nous aident guère à dégager une règle claire.
    Déjà, Littré hésitait entre jeux olympiques (par exemple aux articles « jeu » et « olympiade » de son Dictionnaire) et jeux Olympiques (par exemple aux articles « instauration » et « olympique »). Un siècle plus tard, Hanse reprit le flambeau : « Les jeux Olympiques » (à l'article « jeu » de son Nouveau Dictionnaire des difficultés de la langue française) mais « Les jeux olympiques » (à l'article « olympiade »). Robert, de son côté, introduisit une curieuse distinction graphique entre les jeux anciens (les jeux Olympiques) et les jeux modernes (les Jeux olympiques)... à laquelle il lui arrive de déroger : « L'institution des jeux Olympiques », lit-on à l'article « institution » de son édition en ligne. Quant à Larousse et à l'Académie, ils s'en tiennent à une graphie unique dans les deux cas, respectivement jeux Olympiques et Jeux olympiques − esprit de contradiction oblige.
    Même cacophonie autour de la graphie du mot olympiade, quelle que soit l'acception considérée :

    (acception chronologique) « La première olympiade commence en l'an 776 avant Jésus-Christ » (Dictionnaire de l'Académie, lequel a abandonné la majuscule depuis l'édition de 1835), « Le temple fut construit la deuxième année de la quatre-vingtième olympiade » (Girodet, 1986), « Olympiade est un nom commun (donc sans majuscule) » (Jean-Pierre Colignon, 2024), mais le TLFi donne plusieurs exemples avec majuscule : « Quant aux ères, ici on compte par l'année de la création, là par Olympiade » (Chateaubriand, 1802), « Il y avait chez les Grecs trois manières de compter les Olympiades » (Flaubert, 1880), « La première année de l'ère des Olympiades date de 776 av. J.-C. » (Chauve-Bertrand, 1920), auxquels on peut ajouter : « Les Jeux d'Amsterdam en 1928 furent ceux de la IXe Olympiade » (Pierre de Coubertin, 1929), « L'ère des Olympiades » (Marguerite Yourcenar, 1951), « [Hercule] fournit même une unité de temps : l'Olympiade » (Yves Landerouin, 2000) (5) ;

    (acception non chronologique) « Au pluriel » (selon le Larousse en ligne, qui donne un exemple avec minuscule, et le TLFi, qui en livre deux avec majuscule), « Souvent au pluriel. Cet athlète se prépare pour les prochaines olympiades » (selon le Grand Robert), « Olympiades (ou olympiades), parfois écrit au singulier » (selon le Grand Dictionnaire terminologique), « Débutant par une majuscule » (selon le dictionnaire Cordial) (6).

    Est-il besoin de préciser que ce manque de cohérence n'aide pas à limiter les risques de confusion ? Comparez : « Les XIIes olympiades » (Grand Robert) et « La Xe olympiade » (Thomas). Le premier coup d'œil repère-t-il à coup sûr ici la période entre deux Jeux consécutifs, là les Jeux eux-mêmes ? N'arrange guère nos affaires le fait que le numéro de la période ne coïncide plus, de nos jours, avec celui des Jeux, compte tenu de ceux qui n'ont pu se dérouler en 1916, en 1940 et en 1944 : « Du 26 juillet au 11 août 2024, Paris accueillera les XXXIIIe Jeux olympiques d'été », lit-on dans la rubrique Le Français facile du site de RFI. Non ! Il s'agit des Jeux de la XXXIIIe olympiade, lesquels ne sont en réalité que les trentièmes de l'ère moderne. Voilà le revers de la médaille de la polysémie...

    Aussi ne s'étonnera-t-on pas de voir fleurir, depuis ces cinquante (?) dernières années, des analyses autrement mitigées que celles évoquées plus haut, où l'emploi de olympiade dans son acception non chronologique (mais étymologique) n'est pas définitivement mis hors jeu par la préférence donnée à celui, moins ambigu, de Jeux olympiques :

    « Ce mot [olympiade] désigne, en termes d'antiquité grecque, l'espace de quatre ans compris entre deux célébrations des fêtes olympiques. Tel est le seul sens donné par l'Académie. Cependant olympiade, en dépit des puristes, peut désigner aussi les jeux olympiques eux-mêmes (en grec olympias avait la double valeur de "célébration des jeux olympiques" et de "période de quatre ans"). Toutefois, de nos jours, pour désigner les jeux eux-mêmes, c'est presque toujours jeux olympiques qu'on emploie » (Grevisse, Le Français correct, 1973), « Olympiade désigne la période de quatre ans entre les jeux olympiques, en Grèce, mais aussi, surtout au pluriel, les jeux eux-mêmes ; dans ce dernier sens, jeux olympiques l'a emporté » (Hanse, 1983 [7]), « L'emploi d'olympiades au pluriel pour désigner les Jeux olympiques eux-mêmes est déconseillé par l'Académie française, mais il se répand » (Michèle Lenoble-Pinson, Le Français correct, 2009), « Le terme olympique est un adjectif et non un substantif. On ne peut donc parler des Olympiques. On peut par contre employer le mot olympiades en ce sens. Cet emploi est parfois critiqué, mais ne soyons pas puriste » (Paul Roux, Lexique des difficultés du français dans les médias, édition de 2010), « Au singulier, période de quatre ans entre deux célébrations successives des jeux Olympiques (de nos jours ou chez les anciens Grecs) ; emploi normal et correct. Au pluriel, jeux Olympiques (emploi critiqué) ; dans ce sens, dire plutôt jeux Olympiques » (Larousse en ligne).

    Vous, je ne sais pas, mais moi, ma décision est prise : demain, j'arrête le sport !

    (1) Hermant reprend ici les éléments fournis dès 1898 par le Nouveau Larousse illustré : « Le mot olympiade paraît avoir simplement désigné d'abord la fête de Zeus Olympios, qui se célébrait à Olympie, et qui était l'occasion des jeux Olympiques. Peu à peu, l'on prit l'habitude de donner le même nom à l'intervalle de quatre ans qui séparait deux de ces fêtes consécutives. » On notera le sens de la relation métonymique : fête → intervalle de temps, que confirme le Dictionnaire du moyen français : « 1. Ensemble des compétitions sportives qui se déroulaient à Olympie. 2. Par métonymie. Période de quatre ans révolus. »

    (2) Et aussi : « Olumpias, Olympiorum victoria, Olympiaca victoria, Olympiaci certaminis victoria (Hérodote) » (Henri Estienne, Thesaurus Græcæ linguæ, 1572 ; l'édition de 1831 par Hase et Dindorfius comporte l'ajout suivant : « Vel Olympicum certamen [Pindare, Simonide, Isocrate] »), « Nempe "olumpiada" plane etiam dicit Noster Victoriam olympicam, et Olympiaca victoriæ laudem » (Jean Schweighaeuser, Lexicon Herodoteum, 1824).

    (3) On trouve toutefois trace de la « confusion » en latin du Moyen Âge et de la Renaissance : « Phlego, olimpiadum egregius disputator » (Jean de Haute-Seille, Dolopathos, vers 1184), « Olimpias, dis festum vel sollempnis ludus qui olim fiebat ad honorem Jovis semel per quinquennium [in Olimpo] » (Huggucio de Pise, Liber derivationum, avant 1210), « Vicit Olympiada » (Jean Passerat, 1608).

    (4) Force est de constater que la confusion entre Olympie (ville d'Élide près de laquelle se déroulaient les jeux antiques) et Olympe (mont où résident les dieux, dans la mythologie grecque) ne date pas d'hier...

    (5) Exemples avec minuscule : « Alexandre, qui avait fait enterrer avec son nom et l'olympiade de son règne des mors de chevaux d'une grandeur gigantesque » (Alexandre Dumas, 1837), « Ces paroles [de Socrate] ont été prononcées, ou du moins écrites, aux environs de la quatre-vingt-quatrième olympiade » (Jules Simon, 1876), « Trente ans ont passé depuis lors, c'est-à-dire huit olympiades » (Jean de Pierrefeu, 1927, cité par le TLFi).

    (6) Et aussi :

    « Quant à l'expression les Olympiades (d'Anvers), pluriel employé couramment aujourd'hui par analogie avec les Jeux olympiques, c'est un contre-sens doublé d'un non-sens, comme dirait un professeur de grammaire » (revue Le Cri de Paris, 1920).

    « C'est seulement au pluriel que les olympiades peuvent désigner les Jeux en eux-mêmes [...]. Dans l'usage, il devient [pourtant] fréquent de lire olympiade (au singulier) comme synonymes de Jeux olympiques » (Le Français facile avec RFI, 2023).

    « Bien que la graphie employée dans la Charte olympique du Comité international olympique soit Jeux Olympiques, selon les règles générales d'écriture des dénominations de manifestations commerciales, culturelles et sportives proposées par l'Office québécois de la langue française, le nom Jeux olympiques, masculin pluriel, s'écrit avec une majuscule initiale à Jeux seulement [...]. On trouve aussi la forme courte les Jeux, ou les jeux. L'Office a longtemps préféré la minuscule. Or, dans les faits, la majuscule est très courante et tout à fait correcte [...].
    Au singulier, olympiade (avec une minuscule) s'emploie le plus souvent pour parler de la période de quatre ans qui s'étend entre deux Jeux olympiques d'été » (Grand Dictionnaire terminologique).

    « Bien qu'au Canada on recommande l'emploi de Jeux olympiques, avec une minuscule au mot olympique, la forme Jeux Olympiques est aussi admise. Également attestée, la graphie jeux Olympiques n'est pas conseillée » (Clefs du français pratique).

    « Les jeux Olympiques (absolument : les Jeux). L'écriture inverse, assez fréquente, est admissible : les Jeux olympiques » (André Jouette, Dictionnaire de l'orthographe, 1989).

    (7) Le même Hanse se montrait un tantinet plus sévère en 1949 : « Malgré la fréquence de la confusion, qui n'étonnait pas les Grecs, mieux vaut ne pas employer olympiades pour désigner les jeux eux-mêmes » (Dictionnaire des difficultés grammaticales et lexicales).

    Remarque 1 : La linguiste Danielle Corbin s'étonne de voir figurer olympiade, à l'article « -ade » du TLFi, dans la série des noms formateurs de numéraux, à côté de décade, monade, etc. « Alors que décade est paraphrasable par "ensemble de dix N", écrit-elle, olympiade n'est pas paraphrasable par "ensemble de olympie N". Il n'entretient donc pas le même rapport que décade avec sa base, et ces mots ne sont pas passibles du même traitement » (Morphologie dérivationnelle et structuration du lexique, 1991).

    Remarque 2 : En 1934, le Comité d'organisation des Jeux olympiques soulignait l'analogie entre l'olympiade des Grecs et le lustre des Romains : « Le mot latin Lustrum [désignait] à l'origine l'acte religieux de l'absolution qui termine le Census [= recensement de la population, effectué tous les cinq ans] et par la suite le temps durant lequel cet acte était valable. De même que les Olympiades, on se mit à compter les lustres » (Échos des sports du département de Constantine).

     

    Flèche

    Ce qu'il conviendrait de dire


    La même chose (?) ou, plus couramment, Ils se préparent pour les Jeux olympiques (façon Académie et Robert) ou pour les jeux Olympiques (façon Larousse, Thomas et Girodet).

     

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  • Commentaires

    1
    assian
    Jeudi 14 Mars à 16:04

    Ce nom a même été donné à une station de la ligne 14 du métro parisien.

    En tout cas, merci et bravo pour cet article si plein d'humour et d'érudition.

    2
    Chambaron
    Samedi 30 Mars à 19:29
    Chambaron

    Bravo pour ce billet si détaillé. Il semble bien difficile de trancher étymologiquement mais ma conclusion reste que conserver au mot olympiade son sens de durée est plus intéressant que d'en faire un simple synonyme de célébration des jeux. Tout ce qui permet les nuances enrichit la langue, tout ce qui les gomme l'appauvrit. 

    3
    PotatoWill
    Mercredi 1er Mai à 03:41
    L'exemple donné de Coubertin semble indiquer que les jeux marquent le début de l'olympiade. En le considérant sous cet angle, le début des prochains jeux est aussi le début de la prochaine olympiade. Si nous restons sur le singulier, l'usage de l'un pour l'autre s'entend plus aisément. Non ?
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