« Les représentants des professions libérales qu’il a reçus en sont encore tout ébaudis : "il nous a fait la leçon pendant trois quarts d’heure, à notre âge…" » (à propos de Nicolas Sarkozy, photo ci-contre).
(Nicolas Domenach, sur challenges.fr, le 19 décembre 2014)
(photo Wikipédia sous licence GFDL par EPP)
Ce que j'en pense
Notre journaliste a beau faire... et beau dire, je ne vois pas, dans cette ancienne affaire, matière à s'ébaudir. Car enfin, je vous le demande, que peut-il bien y avoir de réjouissant à s'entendre faire la leçon ?
Une clarification sémantique s'impose. Ébaudi, participe passé du verbe ébaudir (« divertir, égayer ») − lui-même dérivé de l'ancien français balt, bald, puis baud, « fier, plein d'ardeur, joyeux », d'origine germanique −, signifie « mis en allégresse » : « Il s'en alla tout ébaudi de cette bonne nouvelle » (Littré). Rien à voir avec ébaubi, participe passé du verbe ébaubir − réfection de l'ancien français abaubir (« étonner, déconcerter » et proprement « rendre bègue »), formé sur baube, du latin balbus, « bègue » −, qui signifie « frappé de surprise au point de bégayer, de ne plus pouvoir s'exprimer » : « Je suis tout ébaubie et je tombe des nues » (Molière).
On évitera de s'emmêler les consonnes à l'aide du moyen mnémotechnique suivant :
ébaubi → b de bégayer
ébaudi → d de divertir, distraire
Mais voilà que les correcteurs du monde.fr viennent semer le trouble en affirmant, sur leur blog(ue) pourtant excellent, que « être ébaubi, c'est rester la bouche ouverte sous l'effet de la surprise, en d'autres termes "bouche bée" ». On reste pantois : ne s'agit-il pas là, précisément, de la définition d'ébahi, dérivé quant à lui de baer, « être ouvert », ancienne forme de bayer (qui perdure dans l'expression bayer aux corneilles) ?
Résumons : l'ébahi est celui à qui l'étonnement fait ouvrir la bouche ; l'ébaubi, celui que l'étonnement fait balbutier ; l'ébaudi, celui qui est plein d'allégresse. Bibi vous le dit : les chausse-trap(p)es que nous réserve notre langue sont assurément infinies !
Remarque 1 : Selon les sources, l'adjectif ébaubi ne s'emploierait « que dans un contexte plaisant » (Girodet) ou « qu'en plaisantant » (quatrième, cinquième et sixième éditions du Dictionnaire de l'Académie) − ce qui, convenons-en, ne signifie pas forcément la même chose...
Remarque 2 : Selon le Dictionnaire historique de la langue française, le verbe ébaudir (on écrit aussi esbaudir), déjà archaïque dans la langue classique, ne serait plus en usage si ce n'est à la forme pronominale comme archaïsme littéraire, avec le sens de « s'égayer, se réjouir » : « Je m'ébaudissais à la noce » (Chateaubriand).
Ce qu'il conviendrait de dire
Ils en sont encore tout ébaubis (?).