« Elles sont belles, parfaites mais oh combien retouchées » (à propos d'un projet de loi visant à signaler les photos retouchées).
(paru sur cosmopolitan.fr, le 18 juin 2013)
Ce que j'en pense
Allez savoir pourquoi, il me semble parfois que les articles de presse gagneraient eux aussi à être... retouchés.
Il faut bien reconnaître que la confusion, ô combien fréquente, entre les mots ô et oh (voire ho) ne date pas d'hier, celui-ci étant du reste une variante orthographique de celui-là. Afin de surnager dans ces o troubles, il convient déjà de bien distinguer les divers emplois du petit chapeauté. Le ô dit vocatif sert à apostropher, à invoquer emphatiquement : Ô mon Dieu ! Ô ciel ! Ô mon mari ! Dans le registre littéraire, l'interjection ô est, quant à elle, employée pour marquer divers sentiments tels que la surprise, la colère, l'effroi, la plainte, etc. Ainsi des vers fameux du Cid : Ô rage ! ô désespoir ! ô vieillesse ennemie ! / N'ai-je donc tant vécu que pour cette infamie ? Il ne s'agit pas cette fois, on l'aura compris, d'invoquer sa rage ni d'apostropher son désespoir (comme on implorerait le ciel ou son mari), mais bien de les signifier. Si d'aventure la nature de l'émotion ne devait pas être précisée, l'interjection oh ! pourrait s'en faire un vague écho : Oh ! n'ai-je donc tant vécu que pour cette infamie ? Les différences entre les deux homophones commencent à se faire jour : « Ô ne peut donc s'employer que lié à un autre mot [nom, pronom ou adverbe]. Oh ! suivi obligatoirement d'un point d'exclamation constitue à lui seul une phrase » (Dupré).
Pour en revenir à l'affaire qui nous occupe, la confusion provient de ce que combien peut s'accommoder, selon le sens, de l'un ou de l'autre : l'attelage ô combien roule sur les plates-bandes de très, à un point extrême, quand Oh ! combien (souvent suivi de la préposition de) marque un simple renforcement de l'adverbe. Comparez : J'ai lu un livre ô combien passionnant (ô combien, mis pour très, pourrait être retiré de la phrase sans que le sens en souffrît) et Oh ! combien de livres passionnants j'ai lus cet été ! (combien a ici une fonction grammaticale de déterminant). Parfois, les deux formulations ont des sens très proches : Je l'aime, ô combien ou Oh ! combien je l'aime !
L'Académie, dans son infinie sagesse, prend soin de préciser que la locution ô combien s'emploie en incise (entre virgules) ou en fin de phrase – comprenez : partout... sauf en début de proposition ! Une recommandation qui, selon toute vraisemblance, n'a d'autre dessein que d'éviter la confusion avec le tour introductif Oh ! combien de, si cher à nos poètes : Oh ! combien de marins, combien de capitaines / Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines (premiers vers d'Oceano nox de Victor Hugo, souvent orthographiés Ô combien de marins...). Problème : Littré, à l'entrée ô de son Dictionnaire, cite ces vers de Corneille : Ô combien d'actions, combien d'exploits célèbres / Sont demeurés sans gloire au milieu des ténèbres ! Ô Oh Ho ! Qui croire, dans ce cas précis ?
Peu importe après tout : tant que nous est épargnée la graphie coupablement retouchée au combien, il n'y a pas lieu d'en faire toute une histoire (d'O).
Ce qu'il conviendrait de dire
Elles sont belles, parfaites mais ô combien retouchées.