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Nier / Démentir / Réfuter

Inutile de le nier : les spécialistes de la langue peinent à s'accorder sur les différences sémantiques entre les verbes de négation nier, démentir et réfuter.

Nier − et c'est là leur seul terrain d'entente − signifie couramment « déclarer qu'une affirmation n'est pas vraie ou qu'une chose n'a pas de réalité, d'existence » : Il nie l'évidence, elle nie avoir fait cela, ils nient formellement. Les choses se compliquent avec démentir : « Nier la réalité d'un fait, l'exactitude d'une affirmation. Voilà des informations qu'on ne peut démentir. Nous démentons formellement cette nouvelle, ce bruit calomnieux », lit-on dans la neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie. Avouez que la nuance entre nier un fait et nier la réalité d'un fait n'est pas à la portée du premier menteur venu... Le linguiste Jacques Moeschler nous aide à y voir plus clair : selon lui, démentir se distingue de nier dans la mesure où « un démenti ne porte pas sur un fait, mais sur un acte d’énonciation [...]. La différence avec nier apparaît rapidement en comparant ces deux exemples : Le ministère des Affaires étrangères a démenti l’information selon laquelle... et *Le ministère des Affaires étrangères a nié l’information selon laquelle… » En d'autres termes, on peut nier n'importe quel fait tenu pour vrai par autrui, mais on dément l'énoncé d'un tel fait (accusation, affirmation, allégation, information, rumeur...). Las ! une ligne de l'article « démentir » du TLFi vient contredire cette thèse : « Déclarer qu'un fait, un discours est faux. L'agence Havas a, comme il convenait, démenti le fait (Clemenceau). » On pourrait encore citer Bossuet : « Faudra-t-il donc démentir un fait certain ? » (vers 1700), Jean-Charles Laveaux : « Démentir un fait, dire, soutenir qu'il n'est pas vrai » (1820) et Louis-Nicolas Bescherelle : « Démentir un écrit, un fait, une nouvelle, un bruit de journal, une assertion... » (1845). Nous aurait-on menti « à l'insu de notre plein gré » ? D'autres considèrent que démentir, mieux que nier, permet de rétablir la vérité face à un mensonge...

Réfuter, de son côté, introduit une idée supplémentaire : l’existence d’une argumentation établissant la fausseté de ce qui est avancé. Autrement dit, réfuter, c'est démentir avec preuve à l'appui : « La faulte est si evidente qu'il n'est ja besoing de la refuter par plus amples raisons » (Éloy Maignan, 1549). De là les cris d'orfraie que l'emploi de réfuter comme simple synonyme de démentir (voire de nier) fait encore pousser à certains : « Mardi soir, à BFM, Sophia Chikirou a démenti toute surfacturation de la campagne de [Jean-Luc Mélenchon]. Et les médias presque unanimes d'annoncer qu'elle avait "réfuté" les accusations ! Depuis quand un démenti est-il une réfutation ? » s'insurgent les correcteurs du monde.fr sur leur blog(ue). Mais depuis que l'Académie elle-même s'est décidée à entériner cette extension de sens dans la dernière édition de son Dictionnaire, pardi ! Jugez-en plutôt : « Réfuter. Combattre, détruire ce qu'un autre a avancé, en prouvant que ce qu'il a dit est faux ou mal fondé. Réfuter un argument, une théorie, une preuve. Réfuter une accusation, une calomnie, un mensonge. Par métonymie. Réfuter un auteur. Littéraire. Apporter un démenti à. L'expérience a réfuté ses dires. » (1) À la décharge desdits correcteurs, reconnaissons que cette dernière acception, présentée par l'Académie comme « littéraire » sans autre restriction d'usage, s'entend d'ordinaire des seuls inanimés : « Au XXe siècle, [réfuter] s'emploie également dans un style soutenu avec un nom d'inanimé pour sujet (un argument réfute une position...) » (Dictionnaire historique de la langue française), « Par analogie. [Le sujet désigne une chose] Infirmer, démentir ce qui était arrivé. Le temps qui passe réfute d'heure en heure nos pronostics (Michel Butor) » (TLFi). Il n'empêche, l'emploi du verbe réfuter en dehors de toute idée d'argumentation, fût-ce avec un nom de personne pour sujet, ne saurait être tenu pour incorrect au regard de l'étymologie, si l'on en croit le Dictionnaire historique de la langue française : emprunté du latin refutare (« repousser, refouler ; refuser d'admettre »), le bougre n'a-t-il pas d'abord signifié « refuser, repousser, rejeter, contester » (2), avant de prendre le sens moderne de « repousser (une allégation, une position) en démontrant qu'elle est fausse ou qu'elle n'est pas fondée » ? Tout au plus taxera-t-on les imprudents d'archaïsme...

Est-ce une raison pour encourager l'emploi prétendument vicieux de réfuter au sens de « démentir » ? Que nenni ! Mais il faudrait être de mauvaise foi pour nier la part de responsabilité des spécialistes de la langue dans la confusion actuelle...

(1) Larousse va même jusqu'à écrire, à l'article « réfuter » de son édition en ligne : « Contredire quelqu'un, le démentir » !

(2) « Jhesus li bons nol refuded [Jésus, le bon, ne le (Judas) repoussa pas] » (Passion du Christ, Xe siècle), « [Ce] que m'avez arguee De mes diz et refutee » (Guillaume de Digulleville, vers 1330), « Lesdis archiers n'osèrent refuter le commandement de leur prince » (Jean Molinet, fin du XVe siècle, cité dans le Dictionnaire du moyen français), « Refuter la foi, refuser de s'en rapporter au serment » (Glossaire de la langue romane de Roquefort, 1808).

 

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Remarque 1 : Après nier que, le verbe de la subordonnée − parfois précédé du ne explétif quand la proposition principale est à la forme négative ou interrogative − se met généralement au subjonctif : « On ne peut nier qu'il ne soit bâtard » (Pierre Bayle), « Je nie que dans Molière il y ait de la gaîté » (Émile Zola), « Nierez-vous que vous soyez la cause du conflit [...] ? » (Paul Bourget). L'indicatif peut cependant être employé (sans ne explétif), pour souligner la réalité du fait nié : « On nie qu'il ait fait cela (le locuteur ne se prononce pas sur cette action). On nie qu'il a fait cela (le locuteur croit plutôt qu'il l'a fait) » (Hanse), « Il nie qu'il vous a fait, qu'il vous ait fait cette promesse » (neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie). Les mêmes observations valent pour démentir que, construction ignorée par l'Académie et Littré, mais admise par Damourette et Pichon, Nyrop, Hanse, Dupré, Girodet et Larousse.

Remarque 2 : La langue moderne emploie généralement l'infinitif sans de après nier : « Il nie avoir fait cela ou, classique, d'avoir fait cela » (neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie).

Remarque 3 : Attention à l'indicatif imparfait et au subjonctif présent : (que) nous niions.

Remarque 4 : Selon Christian Rubbatel, dénier − dérivé de nier (avec le préfixe dé- exprimant le renforcement) d'après le latin denegare (« nier fortement, formellement ; refuser ») − ne diffère de son ancêtre que syntaxiquement : « Son objet direct est un nominal et non une complétive. »

Remarque 5 : Voir également le billet Démentir.

 

Nier / Démentir / Réfuter

 

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M
Bonjour M. Marc, il arrive que pour distinguer deux verbes homophones, le sentiment linguistique des locuteurs les ait amenés à unifier l’un par un procédé, l’autre par l’autre. C’est ainsi que nier et noyer qui étaient autrefois homophones sont devenus entièrement distincts. Dam/Pich. chap. 846. Merci. Bye.Mich.
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A
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