« L'arc de triomphe sera bien empaqueté [...] du 18 septembre au 3 octobre 2021. Emballé, c'est pesé ! »
(Pauline Chevallereau, sur arts-in-the-city.com, le 15 juin 2021.)
Ce que j'en pense
Emballé ? Il me faut bien avouer que je ne le suis pas vraiment. Ce n'est pas tant le projet artistique posthume de Christo qui me chagrine, vous l'aurez deviné, que la façon dont notre journaliste orthographie le premier membre de l'expression qui nous occupe aujourd'hui : emballé en lieu et place de l'impératif emballez. Car enfin, ne s'agissait-il pas à l'origine de l'injonction adressée par un commerçant (boucher ? épicier ?) à son commis de préparer la marchandise tout juste pesée et sur le point d'être emportée ?
Renseignements pris, ladite expression (attestée dans les années 1960) n'est que le énième avatar d'une formule probablement née dans les faubourgs du XIXe siècle pour conclure une transaction commerciale et que la langue familière décline depuis à l'envi pour signifier qu'une affaire est entendue, qu'il n'y a plus rien à ajouter et que l'on peut passer à autre chose : enlevez, c'est pesé ! (Émile Debraux, 1830), enlevez, c'est payé ! (Théodore Cogniard, 1838), enlevez le bœuf ! (Courteline, 1886), enlevez ! c'est vendu ! (E. Huet, 1895), envoyez, c'est pesé ! (Lucien Sampaix, 1933), enveloppez, c'est pesé ! (Gilbert Le Poubau, 1938)... Et hop ! affaire suivante !
Force est, hélas ! de constater que la logique ne pesait pas plus lourd hier qu'aujourd'hui dans la balance orthographique. Jugez-en plutôt : « Enlevé, c'est pesé » (Charles-Désiré Dupeuty, 1827), « Enlevé, c'est payé » (J. Hilpert, 1841), « Enlevé !... c'est servi ! » (Charles Lafont, 1859), « Emballé, c'est pesé ! » (Alain Badiou, 1967), « Enveloppé c'est pesé ! » (Jules Ravelin, 1967), « Envoyé c'est pesé » (Auguste Le Breton, 1995), etc. Aussi en vient-on à s'interroger sur ce qui peut bien motiver le choix du participe passé dans cette affaire : influence du second membre de la parataxe sur le premier ? souci de symétrie ? ou, comme le croit Philippe Gaillard, « référence à la rapidité avec laquelle très souvent un boucher-charcutier pèse puis emballe un morceau de viande qu'un client vient d'acheter » (sur le mode « aussitôt pesé, aussitôt emballé ») ? Des esprits étonnamment conciliants vont même jusqu'à affirmer que « les deux [graphies] sont possibles, avec en principe une nuance de sens : l'un[e] est un ordre, l'autre une constatation » (fil de discussion du Wiktionnaire). Il n'est pourtant que de consulter les ouvrages de référence pour s'aviser que la seconde analyse − si tant est qu'elle soit recevable (dirait-on : mis dans un emballage, c'est pesé ?) − ne fait pas le poids face à la première :
« Enlevez, c'est pesé ! (familier). C'est une affaire conclue » (TLFi, article « peser »).
« Enlevez le bœuf (populaire). C'est prêt, vous pouvez emporter » (TLFi, article « enlever »).« Locution familière. Vieilli. Enlevez le bœuf ; (moderne) Enlevez, c'est pesé : la chose est prête, vous pouvez l'emporter » (Petit Robert, article « enlever »).
« Locution. Emballez, c'est pesé ! : l'affaire est faite, c'est d'accord » (Petit Robert, article « emballer »).« Familier. Enlevez, c'est pesé, c'est une affaire conclue » (Grand Larousse, article « peser »).
« Locution familière enlevez le bœuf ! "la chose est prête, vous pouvez l'emporter" » (Dictionnaire historique de la langue française, article « enlever »).
« Enlevez, c'est pesé ! phrase des commerçants devant leur balance. L'idée étant : c'est terminé ! » (Le Bouquet des expressions imagées, Claude Duneton).
Mais rien n'y fait, et il ne se passe pas une journée sans que le camp du participe passé n'attire de nouveaux chalands (Henri Duvernois, Claude Farrère, Roland Dorgelès, Françoise Xenakis, Pierre Merle, Bernard-Henri Lévy, pour ne citer que les plus en vue).
Cela dit, ne nous plaignons pas trop : il semblerait que nous ayons échappé jusque-là à la graphie emballer. Tout bien pesé, ce n'est déjà pas si mal...
Ce qu'il conviendrait de dire
Emballez, c'est pesé !