« Alexandre Yersin (1863-1943), né suisse à Morges, mort français à Nha Trang (Vietnam) » (à propos du biologiste qui a découvert le bacille de la peste et mis au point l'ancêtre du Coca-Cola, photo ci-contre).
(Delphine Peras, dans L'Express n° 3190, août 2012)
(photo wikipedia)
Ce que j'en pense
La règle est connue : les noms de peuples, d'habitants et de nationalités s'écrivent avec une majuscule (Un Français. Je suis une Française), les adjectifs associés et les noms de langue s'écrivent avec une minuscule (Un citoyen anglais qui parle le français. Il est de nationalité française).
Les choses se compliquent en l'absence de déterminant. Ainsi, dans la phrase : Je suis Français / français, est-on en présence du substantif ou de l'adjectif ? Il est intéressant d'observer au préalable que l'hésitation n'est pas de mise lorsqu'il est question d'une profession : dans Je suis médecin, médecin, bien qu'employé sans déterminant, n'en demeure pas moins un nom, en position d'attribut du sujet. Aussi retiendra-t-on que la fonction d'attribut peut être assumée aussi bien par un adjectif que par un nom sans déterminant.
Mais revenons à notre affaire. Selon l'usage en vigueur à l'Imprimerie nationale et les recommandations de Joseph Hanse et de Charles Gouriou (1), on écrira correctement : Je suis Français, je suis né Français, car il s'agit là d'exprimer une nationalité (sous-entendu : je suis un Français, je suis né avec le statut de Français) et non l'ensemble des qualités – pour ne pas dire des stéréotypes – généralement attribuées au peuple français (comme dans : Elle est très française, avec ses manières de grande dame).
Seulement voilà : l'Académie n'est pas de cet avis. L'entendez-vous pester sur son site Internet ? Tout en reconnaissant que « l'usage en la matière est mal fixé », elle y fait le choix inverse : « On écrira donc : Les Français aiment leur langue, mais Ma sœur est française. » (2) Grevisse, de son côté, joue comme souvent le Suisse de service : « Son mari était anglais ou Anglais » ; il observe toutefois que « la majuscule semble avoir la préférence, ce que l'on peut encourager », là où Karine Germoni privilégie la minuscule « car la majuscule peut être interprétée comme une influence malvenue de la langue anglaise, qui met systématiquement une majuscule aux noms et adjectifs désignant une langue ou un gentilé » (Majuscules, abréviations et symboles, 2013). Malgré la contribution de toute la famille, force est de constater qu'il s'agit là d'un (nouveau) point de français sur lequel nos spécialistes − et nos écrivains (3) − ne s'accordent pas. Comprenne (le Français) qui pourra !
Quoi qu'il en soit, si l'on ne peut dire d'Alexandre Yersin qu'il est né très Suisse et qu'il est mort très Français (noms), sans doute fut-il le plus français des savants suisses (adjectifs) ! Assurément un homme d'exception qui a fait sienne la devise « impossible n'est pas... français ».
(1) « La majuscule doit être conservée lorsque le mot remplit une fonction d'attribut : il est Anglais, elle est devenue Espagnole, ils sont naturalisés Américains, je suis Brésilien » (Memento typographique).
(2) Exemple depuis modifié en « Il est belge ».
(3) « Comment peut-on être Persan ! » (Montesquieu), « Puisqu'il est Allemand, je peux lui parler » (Voltaire), « Mon ami, qui est Allemand » (Balzac), « Je n'étais pas fait pour être Parisien » (Hugo), « Pour faire la grammaire française que nous concevons, il fallait donc être Français » (Damourette et Pichon), « Être humain cela ne consiste pas seulement à être Espagnol, ou Anglais, ou Français, ou Russe » (Paul Léautaud), « Il est Belge » (Julien Green), « Je suis Français, comme vous » (Georges Duhamel), « Que signifie être Français ? Et plus encore, qui est Français ? » (Hélène Carrère d'Encausse), à côté de « Le procureur est français de nation » (Jules Michelet), « Le cuisinier est français » (Jean-Marie Rouart), « [A.O. Barnabooth] est français, malgré son nom anglo-saxon » (Jean d'Ormesson), « Mon père est allemand mais ma mère est grecque » (Fred Vargas). Jean Dutourd hésite : « Si ce membre de la cinquième colonne est Français, moi je suis Chinoise », mais « M. Bowen est anglais ».
Remarque : On notera ce cas où le nom diffère de l'adjectif autrement que par la seule majuscule : Elle est suisse (adjectif) ou Elle est Suissesse (nom, même si l'usage tend à recourir également à Suisse au féminin).
Ce qu'il conviendrait de dire
« Alexandre Yersin, né Suisse, mort Français » (selon Gouriou et Hanse, qui ont ma préférence) ou « Alexandre Yersin, né suisse, mort français » (selon l'Académie, Larousse et Bescherelle).