« Le Duo Vilja a exploité sa gémellité en créant des mouvements qui donnent l'impression qu'elles ne font qu'une » (à propos du numéro de contorsion des jumelles suédoises).
(The Best, sur TF1, le 13 septembre 2013)
Ce que j'en pense
Entorse en (faux) direct, hier soir, lors de la finale de l'émission The Best (non pas aux membres élastiques de nos contorsionnistes, comme on aurait pu le craindre, mais à la langue française, dont la souplesse fut mise à rude épreuve) : n'y entend-on pas la voix hors champ (puisque tel est l'équivalent de voix-off que la commission de terminologie et de néologie tente d'imposer) annoncer bien présomptueusement que les sœurs jumelles ne font qu'une ?
Gageons que Thomas et Girodet, ne faisant ni une ni deux, lui auraient crié casse-cou : c'est que nos acrobates de la langue française tiennent à la distinction entre les expressions siamoises ne faire qu'un et n'en faire qu'un. Dans la première, qui a le sens figuré de « avoir des liens extrêmement étroits, être très unis dans une cause commune » (*), un reste invariable : Ces deux personnes ne font qu'un. Animées par la même volonté de vaincre, ces deux nations alliées ne font qu'un. Dans la seconde, qui s'entend cette fois au sens propre de « n'être qu'une même personne, qu'une même chose », l'accord en genre − mais pas en nombre, est-il utile de le préciser ? − est de rigueur : Ces deux personnes, ces deux villes n'en font qu'une (comprenez : il s'agit en réalité d'une seule et même personne, d'une seule et même ville). Deux explications s'opposent, qui peut-être n'en font qu'une.
Il suffit pourtant d'ouvrir un dictionnaire pour constater que les choses ne sont pas aussi simples que notre duo (de grammairiens) le laisse croire : si Larousse s'en tient encore au schéma présenté, la définition qu'il donne de la locution ne faire qu'un suscite une première crispation : « être très unis, très semblables (sans accord de genre ; sens figuré). Elle et lui ne font qu'un. » Car enfin, ne peut-on concevoir d'être très proches sans pour autant se ressembler comme deux allumettes suédoises ? Le consensus vole définitivement en éclats avec Robert, qui entretient... la confusion : « Ne faire qu'un avec : se confondre avec. Lui et son frère ne font qu'un. » Que doit-on comprendre, si ce n'est que l'union n'a plus force de loi ?
À ce stade, la seule certitude que l'on puisse avoir − quelles que soient les contorsions sémantiques et grammaticales envisagées −, c'est que la graphie ne faire qu'une n'est pas autorisée (contrairement à n'en faire qu'une). Pour le reste, on optera pour l'un ou l'autre tour, selon que les deux sœurs donnent l'impression d'être très unies (le duo est soudé), très semblables (le duo fonctionne comme un miroir) ou d'être une seule et même personne (le duo s'apparente à un solo).
Il était écrit que l'on se ferait des nœuds au cerveau, un vendredi 13, sur TF1...
(*) Selon Hanse, la locution ne faire qu'un, quand elle a pour sujet des noms propres, veut dire « n'être qu'une même personne » ou « être très unis » : « Pierre et Paul (ou Louise et Marie) ne font qu'un. »
Ce qu'il conviendrait de dire
Des mouvements qui donnent l'impression que les deux femmes n'en font qu'une (ou que les deux femmes ne font qu'un).