« N'en déplaisent à certains esprits, certains principes du "darwinisme" s'appliquent également en économie. »
(Michel Struys, sur huffingtonpost.com, le 29 octobre 2014)
Ce que j'en pense
Notre avocat en droit européen serait bien avisé de s'intéresser également aux règles, notoirement nationales, de la grammaire française ! Il y apprendrait que ne déplaise à (et sa variante n'en déplaise à) est une locution figée, dans laquelle le verbe déplaire, conjugué au subjonctif (à valeur optative), ne saurait s'accorder avec le mot qui suit, employé en fonction de complément d'objet indirect et non de sujet : « N'en déplaise aux Docteurs, Cordeliers, Jacobins / Pardieu les plus grands clercs ne sont pas les plus fins » (Mathurin Régnier, 1608), « N'en déplaise aux plus hautes autorités en la matière, je soutiens que cette opinion est fausse » (neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie, 1992).
Selon Littré, ne vous (en) déplaise est une formule familière « qui se dit comme une sorte d'excuse ». Elle correspondrait à l'ellipse du tour impersonnel qu'il ne vous en déplaise (1), entendez : (je souhaite) qu'il ne déplaise (pas) à vous de cela (= ce que je vais dire), d'où (je souhaite) que ce que je vais dire ne vous déplaise pas, ne vous fâche pas (2). Quand ladite locution serait, de nos jours, qualifiée de « littéraire » et prise au sens ironique de « que cela vous plaise ou non, quoi que vous en pensiez », la forme verbale n'en demeurerait pas moins invariable.
Las ! n'en déplaise à plus d'un spécialiste, l'accord au pluriel « par contagion » se répand sur la Toile comme l'abstention aux élections européennes : « n'en déplaisent à ses détracteurs » (Le Figaro), « n'en déplaisent aux partisans de la reconstruction de l'État » (L'Observateur), « n'en déplaisent aux études internationales » (Le Parisien), « n'en déplaisent à ceux qui commençaient à se frotter les mains à l'UMP » (Les Échos), « n'en déplaisent aux producteurs locaux » (Libération), « n'en déplaisent à quelques caricaturistes du débat politique » (Marianne), « n'en déplaisent à ceux qui pensent que j'en parle trop » (L'Équipe), « n'en déplaisent aux élus d’opposition » (La Voix du Nord). Plus surprenant encore, cet exemple trouvé sous la plume d'Ernest Daudet : « Elle y a brillé non peut-être volontairement, mais dans l'attitude d'une femme à qui n'en déplaisent pas les spectacles » (Mes Chroniques, 1917), où les constructions personnelle et impersonnelle semblent s'être télescopées. À moins que mon intuition ne me joue quelque méchant tour... ce qui ne serait pas pour me déplaire.
(1) La forme développée se trouve dans Le Tartuffe de Molière : « Ma bru, qu'il ne vous en déplaise, Votre conduite, en tout, est tout à fait mauvaise. »
(2) Selon le Dictionnaire du moyen français, l'emploi impersonnel il desplait à quelqu'un de quelque chose (ou de quelqu'un) est en effet attesté de longue date au sens de « être irrité, fâché à cause de quelque chose (ou de quelqu'un) » : « Ainsi de la m'estut partir, Dont il me desplut, sanz mentir » (Christine de Pizan, 1402), « Il luy desplaisoit de ceste grand auctorité que le conte de Warvic avoit en Angleterre » (Philippe de Commynes, vers 1490).
Remarque : Des tournures sans négation se sont employées autrefois dans le même sens : « Et toutefois, à qui qu'il en déplaise qui se feigne prud'homme, je ne dis rien qui ne soit couché par écrit et prouvé par expérience et argument valable » (Le Roman de la Rose, XIIIe siècle), « Combien avons-nous vu désobéir aux mandements, enfreindre les défenses, venir quand il leur plaît et s'en aller à qui qu'en déplaise ? » (Alain Chartier, XVe siècle).
Ce qu'il conviendrait de dire
N'en déplaise à certains esprits.