Voilà une locution au charme suranné, dont tout porte à croire qu'elle est mal comprise par nos contemporains. Il faut bien reconnaître que son maniement, pour le moins délicat, est source d'ambiguïtés.
Ambiguïté de sens, d'abord. Déverbal de cesser, cesse est un substantif féminin (1) qui signifie « fin, relâche » (selon Littré), « repos, répit » (selon Hanse), « arrêt, cessation » (selon Duneton).
Employée « absolument » avec un sujet inanimé, la locution n'avoir pas (point) de cesse équivaut à ne pas (point) cesser : Sa haine contre vous n'aura point de cesse, entendez ne prendra jamais fin. Mais il en va différemment du tour classique n'avoir pas (point) de cesse que, où le sujet désigne un animé et où que (suivi d'un verbe conjugué) est mis pour avant que ou pour tant que : Il n'aura point de cesse qu'il n'ait retrouvé sa femme. Le sens est désormais celui de « ne pas trouver le repos, ne pas connaître de répit, ne pas s'arrêter avant que, tant que », ce qui laisse entrevoir cette fois une différence de taille avec la locution ne pas (point) cesser de : celle-ci exprime une action que l'on répète, quand celle-là introduit un objectif que l'on s'efforce d'atteindre (2). On retiendra que n'avoir pas (point) de cesse que (comme sa variante plus moderne sans pas, point : n'avoir de cesse que) ne signifie pas « ne pas cesser de » mais « ne pas cesser (ses efforts) avant d'avoir obtenu que ».
Ambiguïté de construction, ensuite. Si tous les spécialistes s'accordent sur le fait que le verbe après n'avoir (pas, point) de cesse que doit être conjugué au subjonctif, mode de l'action non réalisée (puisque celle-ci n'est pas encore accomplie au moment où l'on n'a point de cesse), l'unanimité n'est plus de mise concernant la présence du ne avant ledit verbe : non explétif (donc nécessaire) chez Hanse, explétif (donc facultatif) chez Girodet et Larousse, ledit adverbe est carrément passé sous silence chez Duneton. De son côté, le Robert lui fait bon accueil : Il n'aura (pas) de cesse qu'il n'obtienne ce qu'il veut. En l'espèce, sans doute aurait-il été de meilleure langue d'écrire : Il n'aura (pas) de cesse qu'il n'ait obtenu ce qu'il veut, afin de respecter la concordance des temps...
Un mode (le subjonctif) en pleine désaffection, une particule (ne) dont on ne mesure plus l'utilité, une concordance des temps hasardeuse : c'en était trop pour le locuteur du XXe siècle. Aussi a-t-on vu fleurir, sur le modèle cesser de faire quelque chose (quand le sujet de la principale est le même que celui de la subordonnée), la construction n'avoir de cesse de suivie de l'infinitif, indéniablement plus légère à manier : Il n'aura de cesse d'obtenir ce qu'il veut. Le sens est celui de « faire des tentatives répétées pour », équivalent raffiné de « faire des pieds et des mains ». Problème : l'usage moderne a tendance à perdre en chemin l'idée exprimée par avant que, à force de confondre l'objectif et les moyens. À cet égard, les exemples trouvés cette fois dans le Larousse en ligne sont édifiants : « Il n'aura de cesse de clamer son innocence ; il n'aura de cesse qu'il n'obtienne satisfaction. » Il me paraît en effet dommageable de mettre ces deux formulations sur le même plan, tant il n'aura de cesse de clamer son innocence se confond avec il ne cessera de clamer son innocence − en aucun cas avec il fera tout pour être innocenté −, quand il n'aura de cesse qu'il n'obtienne satisfaction traduit la détermination du sujet mû par le désir de parvenir à ses fins. L'ambiguïté est telle qu'elle conduit à des aberrations, comme le montre cette « correction » apportée à une citation de Justin Godart sur la xénophobie (dans Revue d'histoire de la Shoah) : « Nous l'avons toujours dénoncée et nous n'aurons de cesse [de continuer à le faire] tant qu'elle n'aura cessé ! » Faut-il que le substantif cesse soit à ce point incompris pour que des auteurs aient jugé nécessaire de modifier une construction pourtant correcte (quoique redondante), au risque de verser dans le non-sens ! Car, s'il est clair que leur hypercorrection entretient la confusion avec ne pas cesser de, que peut bien vouloir signifier ne pas cesser de continuer ?
Pour faire pièce à cette dérive et renouer avec le sens originel de la locution, certains ont voulu privilégier (toujours quand le sujet ne change pas) la construction n'avoir (pas, point) de cesse que de suivie de l'infinitif : Il n'aura pas de cesse que d'obtenir ce qu'il veut, comme on a pu écrire : Il ne partira pas avant que d'avoir fini. Force est de constater que cet effort louable n'a pas été couronné de succès. Il n'aura de cesse avant d'obtenir ce qu'il veut constitue sans doute un compromis plus séduisant, tant sur la forme que sur le fond.
(1) Il faut, pour s'en convaincre, consulter d'anciennes sources : « Sans nulle cesse » (Le Mistere du Viel Testament, vers 1450), « Je ne fais aucune cesse de demander conseil aux Dieux » (François de Belleforest, 1572). Cesse a beau présenter la particularité de toujours s'employer sans article, il se rencontre à l'occasion précédé d'un adjectif.
(2) On comprend qu'un équivalent de Il n'aura point de cesse qu'il n'ait retrouvé sa femme est à chercher davantage du côté de Il ne cessera de chercher sa femme que du côté de Il ne cessera... de la retrouver. N'avoir point de cesse que insiste sur l'objectif ; ne point cesser de, sur les moyens.
Remarque : On s'étonne de lire dans la neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie la définition suivante : « N'avoir point de cesse que, ne pas cesser, ne pas trouver le repos avant que. » Sans doute aurait-il été préférable de préciser « ne pas cesser ses efforts », afin d'éviter d'entretenir la confusion avec ne pas cesser de.