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Mieux vaut tard que coltar !

« C’est un groupe local qui réveillera les campeurs dans le coltar. Ce trio construit sa musique autour de sonorités folk et country. »

(paru sur lavoixdunord.fr, le 27 juillet 2013) 
 

 

FlècheCe que j'en pense

 
On est fondé à se demander qui, du journaliste ou du campeur, est le plus endormi des deux. C'est que, contrairement à ce qu'on lit souvent, l'expression familière par laquelle on signifie que l'on est dans la confusion, l'hébétude s'écrit être dans le coaltar.

Emprunté de l'anglais coal tar (de coal, « charbon », et de tar, « goudron »), le coaltar est un goudron de houille, utilisé notamment en marine pour protéger le bois de l'humidité (Enduire de coaltar la coque d'un bateau) et en thérapeutique comme désinfectant. On peut supposer que le mot a franchi la Manche avant 1839 (1), vraisemblablement via les ports normands, puis est passé de la langue technique à la langue populaire à la faveur de la locution être dans le coaltar, « ne plus avoir les idées claires, être comme englué dans un état léthargique », par allusion à la noirceur et à la consistance visqueuse du goudron. Certaines sources (dont le TLFi) laissent entendre que notre expression serait née pendant la première guerre mondiale, dans la bouche de poilus avinés qui abusaient d'un gros rouge dont l'aspect pâteux rappelait celui du coaltar ; d'autres (dont Georges Planelles) évoquent plus vaguement « l'époque où certains utilisateurs de ce produit dans des lieux insuffisamment ventilés devenaient hagards à force d'en respirer les émanations toxiques ».

Quelle que soit l'origine desdites vapeurs (alcool, goudron, sommeil...), on peut à bon droit s'étonner que nos dictionnaires usuels, que l'on a connus plus prompts à suivre l'air pollué du temps, n'aient pas retenu la graphie francisée coltar, pourtant attestée dès 1860 dans un document de l'Académie des sciences (« Dégager dans le coltar le principe, l'élément essentiel de la désinfection ») et employée plus souvent qu'à son tour par les maîtres du genre argotique : San Antonio (« Toujours dans le coltar ? »), Pierre Perret (« J'suis dans le coltar »), le chanteur Renaud (« J'étais un p'tit peu dans l'coltar » [2]), jusqu'à Michel Houellebecq (« Les islamistes radicaux étaient vraiment dans le coltar »). Mais c'est ainsi : Larousse et Robert s'en tiennent à la forme coaltar, qui continue donc d'arpenter le bitume français aux côtés de variantes plus ou moins fantaisistes (coltar, coltard, coltart, coltare, koltar, colletard...).

Si encore l’orthographe était seule en cause… mais la délicate question de la prononciation nous entraîne sur les mêmes charbons ardents. Littré a beau préconiser la prononciation avec un o fermé (kôl-tar), plus conforme à l'usage anglais, force est de constater que Larousse et Robert enregistrent également celle avec un o ouvert, qui s'est répandue comme une glu dans notre pays, par faux rapprochement avec col ou colle.

Exiger la graphie anglaise tout en tolérant la prononciation à la française ? Bel exemple d'incohérence de la part de nos dictionnaires usuels, dont on se demande si, parvenus à lettre C, ils n'étaient pas déjà définitivement dans le... cirage (3) !

(1) « On le nomme en ce pays [l'Angleterre] coal-tar. L'usage commence à s'en répandre en France dans les ports de mer » (Dictionnaire technologique, 1839).

(2) La graphie avec un d final, souvent proposée sur Internet, me semble provenir – plus que d'une attraction du nom Renaud – d'une confusion avec l'homonyme coltard (formé du nom col et du suffixe -ard, sur le modèle de costard), qui désigne dans la langue populaire le col d'un vêtement : Il m'a attrapé par le coltard.

(3) La variante être dans le cirage a fait également état... d'ivresse, par synonymie avec être noir (« être complètement ivre »), avant d'être reprise dans l'argot des aviateurs avec le sens de « ne rien voir, être dans le noir », d'où par extension « ne rien comprendre ; être en difficulté ».

 

Flèche

Ce qu'il conviendrait de dire


C’est un groupe local qui réveillera les campeurs dans le coaltar (selon Larousse et Robert).

 

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G
Es-t-il vrai que l'on badigeonne du coaltard au bas des murs dans les casemates militaire comme désinfectant ?
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C
Je viens d'avoir l'occasion de fouiller cette étymologie (via l'OED en particulier). Le distillat en question (tar) a permis en 1835 d'identifier chimiquement pour la première fois le phénol (large famille des benzènes), source indéniable du phénomène d'ivresse toxique de l'expression en objet. Par ailleurs, on retrouve plus tard cette racine dans le mot tarmac (abréviation de tarmacadam, marque déposée en 1901). <br /> Bien qu'aucun dictionnaire ne l'établisse, il n'est pas non plus déraisonnable de penser que cet étymon ancien lié à la résine tirée de certains arbres soit aussi à la base de mots comme térébenthine, terpène ou même le nom du Qatar (brûlage des résines parfumées). Toute une histoire…
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T
Étonnant, cet article ! Et surtout parce que « coal tar » ne se voit en anglais qu'écrit ainsi, en deux mots, sans trait d'union. Le savon qui porte ce nom a un parfum facile à reconnaître.
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