« Cela a sans doute influencé sur le moral des ménages. »
(Olivier Lorthios, sur TF1, le 13 mai 2015)
Ce que j'en pense
Entendu mercredi soir, au journal de vingt heures de TF1 : influencer sur. Ce solécisme vient, de toute évidence, d'une confusion entre les verbes influer et influencer. Rappelons en effet que, si le premier ne se construit plus de nos jours qu'avec la préposition sur, le second est transitif direct : influencer le jury, l'opinion, mais le climat influe sur la santé.
À la décharge de notre journaliste, reconnaissons que l'on a tôt fait de s'emmêler les pinceaux entre ces deux paronymes. D'abord, influer n'a pas toujours été un verbe intransitif ; Littré nous rappelle ainsi que le bougre s'est construit transitivement, autrefois, avec le sens de « faire couler dans, faire pénétrer dans, en parlant des choses spirituelles, morales » : « Du soin que la nature a d'y influer [dans nos membres] les esprits » (Pascal) ; « Dieu influe le bien dans tout ce qu'il fait » (Bossuet). Ensuite, nos deux verbes sont à ce point proches par le sens que le TLFi a cru utile d'apporter cette précision : « Les textes ne montrent pas de différence de sens ni d'emplois notables entre influer et influencer, dans l'ordre concret ou abstrait. Seul influer se construit avec sur ; mais on peut les considérer comme pratiquement commutables, ainsi qu'en témoignent certains exemples. Ce désir dépend immédiatement du jugement qui le précède. Il est donc influencé par tout ce qui influe sur ce jugement (Destutt de Tracy, 1805). » Rien que de très logique, me direz-vous, quand on songe qu'influer est emprunté du latin influere (« couler dans, s'insinuer dans », puis « exercer une influence (en parlant d'astres) »), tout comme influence (par l'intermédiaire du latin influentia, « action attribuée aux astres sur la destinée des hommes »)... dont dérive influencer.
Faut-il conclure de cette filiation qu'influer et influencer sont deux parfaits synonymes, comme le laisse entendre le TLFi ? Rien n'est moins sûr. Selon Thomas, influencer aurait plutôt un sens moral et s'appliquerait surtout aux personnes − autrement dit, influencer serait « une manière d'influer humaine, volontaire, réfléchie, faite à dessein », pour reprendre les mots de Lafaye. Girodet, qui compte parmi les experts les plus influents de notre époque, acquiesce : « Influencer doit avoir pour complément un nom désignant une personne ou un groupe de personnes (...) Quand le complément est un nom de chose, on emploiera plutôt influer sur ». Force est toutefois de constater que ces subtilités sont loin de faire l'unanimité parmi les spécialistes de la langue. Ainsi l'Académie admet-elle l'emploi d'influer avec pour complément un nom de chose aussi bien qu'un nom de personne (« exercer sur une personne ou une chose une action qui tend à la modifier »), tandis que Hanse joue la carte de la prudence (« influer sur qqn ou, plus souvent, sur qqch »). Quant au verbe influencer, plusieurs dictionnaires font nettement la distinction entre son application aux personnes − au sens de « soumettre à son influence » (Robert), « soumettre à son influence ; exercer une influence, un ascendant sur » (Académie) − et son application aux choses − au sens de « agir sur » (Robert), « avoir une action physique sur une chose » (Académie). Loin de moi l'intention de vous influencer, mais vous conviendrez que la nuance entre « exercer une action sur une chose » (influer sur quelque chose) et « agir sur une chose » (influencer quelque chose) n'est accessible qu'aux seuls coupeurs de cheveux en quatre...
Que retenir de tout cela ? Que l'emploi de nos deux verbes n'est pas bien délimité. Pour autant, dans l'usage courant, influencer tend à s'appliquer surtout aux personnes (sur la volonté et l'esprit desquelles s'exerce l'action) et influer, aux choses ou aux concepts abstraits. Au-delà de ces considérations, il convient surtout de prendre garde à la différence de construction. Histoire de ne pas subir de mauvaises influences...
Remarque : Influencer − nettement plus récent (1771) qu'influer (1375) − ne trouvait pas grâce aux yeux de Necker : « On introduit chaque jour de nouveaux verbes complètement barbares, et on les substitue à l'usage des substantifs ; ainsi l'on dit influencer (...) Cette remarque semble subtile, mais elle indique qu'on n'éprouve plus le besoin des expressions moelleuses et mesurées ; car [c'est] par l'union des adjectifs aux substantifs que les idées acquièrent de la nuance et de la gradation. Maintenant, on doit demander de quelle manière la nouvelle Constitution française peut, non pas influencer la langue, mais avoir sur elle une influence insensible » (Du pouvoir exécutif dans les grands États, 1792). Si le verbe fut en effet longtemps critiqué − « On a dit, depuis quelque temps, et dans un sens actif, influencer un avis, etc. pour avoir de l'influence sur un avis. C'est un néologisme barbare » (Claude-Marie Gattel, Dictionnaire universel de la langue française) −, il finit par s'imposer : n'avait-il pas sur son rival influer l'insigne avantage d'être transitif direct et donc de pouvoir s'employer au passif ?
Ce qu'il conviendrait de dire
Cela a sans doute influé sur le moral des ménages.