« En Martinique, une campagne invite à "déposer les armes". »
(paru sur bfmtv.com, le 7 février 2014)
Ce que j'en pense
Un lecteur de ce blog(ue) m'interpelle en ces termes : « Comment doit-on dire ? Aller à La Martinique ou en Martinique ? La Guadeloupe, La Réunion, La Corse, La Guyane... ? Merci de m'éclairer. »
Il est certain que le choix de la préposition devant les noms d'îles est affaire délicate. D'autant plus délicate qu'il n'existe pas à ma connaissance de règle absolue, seulement un usage que nos spécialistes ont bien du mal à justifier.
Pour Grevisse, tout est question de taille et de distance : on emploie en « devant les noms féminins de grandes îles proches ou lointaines » (en Crète, en Sardaigne, en Islande), à la « devant les noms féminins de petites îles lointaines » (à la Réunion, à la Martinique, aux Antilles) et à sans article « devant les noms de petites îles d'Europe et devant les noms masculins de grandes îles lointaines » (à Malte, à Chypre, à Cuba, à Madagascar ; exception : à Terre-Neuve, pourtant féminin). Reste à s'entendre sur la superficie et l'éloignement à partir desquels une île change de catégorie...
Girodet aboutit aux mêmes conclusions, mais après un cheminement fort différent : à ses yeux, si le nom de l'île n'est jamais précédé de l'article, on emploi à ; si le nom de l'île est normalement précédé de l'article, on emploie à ou en selon que ledit article est exigé ou non dans un tour comme les villes de. Ainsi, puisque l'on doit dire selon lui les villes de la Guadeloupe, de la Martinique, on dira à la Guadeloupe, à la Martinique ; en revanche, on peut dire les villes de Sardaigne, de Sicile (ou de la Sardaigne, de la Sicile), d'où en Sardaigne, en Sicile. Hanse tient le même cap : « Pour les noms d'îles, on emploie à devant ceux qui ne s'énoncent jamais avec un article et devant ceux qui en réclament toujours un : à Malte, à Jersey, à Guernesey, à Chypre, à Cuba, à Madagascar, à Tahiti, à Haïti, à Terre-Neuve ; à la Martinique, au Groenland [...]. On dit cependant : en Irlande, en Corse, en Sardaigne, en Crète. » Et il ajoute : « Pour l'île d'Elbe et l'île de Ré, on dit à l'île de ou dans l'île de. De même pour l'île de Rhodes. »
Il faut croire que les recommandations de nos spécialistes ne sont guère convaincantes, tant la cohabitation des deux constructions au sein d'un même article confirme les hésitations de journalistes qui ne savent plus à quelle île de Sein se vouer : « Christine Boutin en visite à la Martinique [...] cette visite en Martinique » (Le Figaro) ; « En Martinique, Guadeloupe et Guyane [...] à La Réunion » (Le Monde) ; « En visite à la Martinique [...] une visite de trois jours en Martinique et en Guadeloupe » (L'Express). Même hésitation constatée dans nos administrations : « Leur arrivée en Martinique [...] Christophe Colomb débarque à la Martinique » (Ministère des Outre-mer) ; « La lettre de l'État en Martinique [...] Le dispositif d'aide au fret à la Martinique » (Préfecture de la région Martinique).
Rien que de très normal, au demeurant : la préposition en n'est-elle pas de plus en plus souvent privilégiée sur le modèle des noms de département féminins singuliers commençant par une consonne (en Martinique, en Guadeloupe comme en Corrèze ou en Gironde) ?
Avec une syntaxe aussi capricieuse, il ne faut pas s'étonner que l'usager cumule les incohérences... à l'insu − l'air de rien − de son plein gré.
Remarque 1 : L'honnêteté m'oblige à préciser que l'Office québécois de la langue française admet toutefois en Martinique, en Guadeloupe, « l'usage [étant] très fluctuant quant aux noms d’îles qui comportent un article ».
Remarque 2 : On notera par ailleurs que l'article ne prend pas la majuscule après la préposition : à la Guadeloupe et non à La Guadeloupe.
Voir également le billet Noms de département.
Ce qu'il conviendrait de dire
À la Martinique (selon Grevisse, Hanse et Girodet).