« Les deux [cercueils] ont quitté la cour d'honneur des Invalides, les familles et le couple Macron à leur suite alors que les militaires entonnaient a capela "Loin de chez nous en Afrique". »
(Alexis Boisselier, sur lejdd.fr, le 14 mai 2019)
Ce que j'en pense
Nul doute que mon propos paraîtra bien dérisoire en regard des tragiques circonstances que l'on sait. Mais enfin, rappelons à notre journaliste (et accessoirement aux lecteurs soucieux d'éviter toute fausse note) que la cappella en question s'écrit traditionnellement avec deux p et deux l. Je dis traditionnellement car, si la seconde double consonne semble acquise, l'hésitation est permise sur la première : n'avons-nous pas affaire à l'équivalent italien de notre chapelle, tous deux dérivés du latin capella − avec un p −, que le Dictionnaire historique de la langue française présente comme le diminutif de cappa (« manteau à capuchon » [1]) − avec deux p ? Aussi ne s'étonnera-t-on pas de voir les deux graphies se faire concurrence, surtout depuis le milieu du XIXe siècle : « Ce qui se chante da Capella » (Sébastien Brossard, 1703), « Le contrepoint que les Italiens nomment à Capella » (Michel Pignolet de Montéclair, 1736), « Les musiques da Capella » (Jean-Jacques Rousseau, 1767), « Les compositions à Capella » (Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, 1782), « A capella » (Alexandre-Étienne Choron, 1808 ; Louis-Nicolas Bescherelle, 1845), « A cappella » (Encyclopédie des gens du monde, 1833), « À capella » (Littré, 1863), « A cappella. On rencontre également la forme a capella (avec un seul p), correcte mais moins fréquente » (Larousse en ligne). Les spécialistes de la musique eux-mêmes peinent à accorder leurs violons : « Ne plus entendre que les chants "a cappella" des bonnes petites poules » (Claude Debussy, 1913), « J'en fis un [psaume] pour chœur d'hommes a capella » (Darius Milhaud, 1927), « L'orthographe capella, parfois employée, est mauvaise » (Roland de Candé, La Musique, 1969), « A capella n'est pas une orthographe correcte » (Alain Bonnard, Le Lexique des termes musicaux, 1993), « A cappella ou A capella » (Marc Vignal, Dictionnaire de la musique, 2005). Plus étonnant : l'Académie, dans le premier tome de la neuvième édition de son Dictionnaire (paru en 1992), s'en tient à la seule forme a cappella, alors que la graphie rectifiée (et francisée) qu'elle est pourtant censée avoir avalisée deux ans plus tôt n'est autre que... à capella (avec un a accentué, un p et deux l) ! Vous parlez d'un couac...
Mais laissons là ces querelles de chapelle et venons-en au sens de la locution musicale a cappella (et ses variantes da cappella, alla cappella), directement empruntée à nos voisins italiens. Selon Marc Vignal, elle « désignait à l'origine les compositions polyphoniques religieuses exécutées dans les églises "comme à la chapelle" », allusion aux chapelles de collégiale, de cathédrale ou de cour (princière, royale et surtout papale [2]) où était en usage un style d'écriture particulier − généralement à quatre voix, de caractère grave, de rythme binaire alla breve (3) et aux mélodies empruntées au plain-chant (ou chant grégorien) et répétées en imitation −, employé autrefois dans la messe et le motet. On a longtemps cru que ce modèle musical s'était appliqué aux seules voix sans accompagnement instrumental. Force est de constater que les traités musicaux du début du XVIIIe siècle ne l'entendaient pas de cette oreille. Jugez-en plutôt : « Les Italiens prennent ce mot [capella] pour une assemblée de musiciens propres à chanter ou à jouer toutes les parties d'une musique ou d'un concert. Ainsi ces mots da Capella, "par la Chapelle", marquent qu'il faut que toutes les voix et les instruments de chaque partie chantent ensemble la même chose pour faire plus de bruit, même dans les entrées des fugues » (Sébastien de Brossard, Dictionnaire de musique, 1703), « Aux premiers temps, il est certain que les offices divins ne se chantaient qu'avec des voix. Puis, une fois les orgues introduites, on adopta au fil du temps toutes sortes d'instruments, ce que démontre clairement l'usage actuel. Une double méthode de ce style a capella est en vigueur à notre époque : avec les voix seules, sans orgue et autres instruments ; et avec orgue et instruments. La première est encore conservée dans la plupart des cathédrales et à la cour impériale lors du carême, par une piété singulière de notre très auguste monarque et par respect du culte divin » (Jean-Philippe Navarre traduisant Gradus ad Parnassum de Johann Joseph Fux, 1725). Autrement dit, notre expression en est venue à désigner deux pratiques d'un même style musical : l'une strictement vocale (que d'aucuns préfèrent qualifier de alla Palestrina [4]) et l'autre qui s'accommodait du soutien de l'orgue ou d'autres instruments, à condition que ceux-ci accompagnassent les voix « à l'unisson ou à l'octave » (Encyclopédie des gens du monde, 1833). Il faut croire que la langue courante n'a retenu que la première pratique, puisque la locution a cappella s'emploie désormais par extension, comme adjectif (invariable) ou comme adverbe, à propos d'une musique vocale privée de tout soutien instrumental, quel qu'en soit le style ou le caractère : des chants de Noël a cappella, chanter a cappella.
« De la musique avant toute chose », réclamait ce bon Verlaine. Fût-ce au prix de doubles croche(-pied)s consonantiques...
(1) Selon le Dictionnaire de l'Académie, le latin capella désignait en effet le manteau de saint Martin, relique conservée à la cour des rois francs. De là le nom donné à leur oratoire.
On l'a échappé belle... quand on songe que le mot se disait aussi d'une petite chèvre !
(2) D'aucuns y voient une référence directe au chœur de la chapelle Sixtine : « L'école romaine se spécialisait dans le chant purement vocal, a capella, qui prit son nom de la chapelle Sixtine, dénuée d'orgue » (Lucien Bourguès et Alexandre Denéréaz, 1921), « L'expression a capella signifie "à la manière du chœur de la chapelle Sixtine", autrement dit sans accompagnement musical » (Baudouin Bollaert et Bruno Bartoloni, 2009), « Littéralement, a cappella renvoie à une chapelle, comme le mot latin le laisse entendre ; en l'occurrence à la chapelle par excellence pour l'Église catholique : la chapelle Sixtine au Vatican » (Thierry Geffrotin, 2011), « [Au début du XVIIe siècle,] seules quelques rares maîtrises, parmi lesquelles la cappella Sixtina, conservaient l'usage du chant a cappella, qui leur dut sans doute ce nom » (Dictionnaire des musiques, 2016). Précisons encore que cappella s'est aussi dit par opposition à camera (« chambre ») ; la musicologue Nanie Bridgman nous apprend ainsi que la Renaissance italienne distinguait deux catégories de voix : les voix da camera, douces et agiles, et les voix da capella (ou da chiesa), plus amples et sonores.
(3) Roland de Candé apporte les précisions suivantes : « L'indication alla breve dans un mouvement à 4/4 signifie que la blanche prend désormais la valeur de la noire. [...] En tête de certaines œuvres instrumentales du XVIIe siècle, la mention a cappella devient synonyme de alla breve. » Preuve que a cappella et instruments ne rechignaient pas à esquisser un pas de deux à l'occasion...
(4) « L'expression style ou musique a cappella désigne plus précisément les pièces d'église destinées aux voix avec accompagnement d'orgue, par opposition à la musique alla Palestrina [du nom du compositeur italien du XVIe siècle qui porta ce style à sa perfection], qu'exécutent les voix sans aucun accompagnement musical » (Adrien de La Fage, 1852).
Ce qu'il conviendrait de dire
Les militaires entonnaient un chant a cappella (selon l'Académie) ou à capella (orthographe rectifiée).