« Paris Orléans va se renommer Rothschild & Co contre vents et marée. »
(paru sur latribune.fr, le 8 avril 2015)
Ce que j'en pense
Loin de moi l'intention de faire des vagues, mais j'en viens à me demander si notre journaliste n'aurait pas bu la tasse. Car enfin, pourquoi diable vent prendrait-il ici la marque du pluriel et pas marée ? Pour préserver l'habituelle liaison, me rétorquera-t-on avec quelque apparence de raison. Mais alors pourquoi ne pas avoir écrit, de façon plus cohérente et homogène : contre vents et marées ?
De fait, dans cette locution empruntée au vocabulaire de la marine, les deux substantifs sont d'ordinaire traités par les spécialistes sur un pied d'égalité, du moins en ce qui concerne l'épineuse question du nombre : « Aller contre vent et marée ou contre vents et marées, poursuivre obstinément ses projets malgré les difficultés, les obstacles, les résistances », lit-on ainsi dans la dernière édition du Dictionnaire de l'Académie (*), comme du côté de Girodet ou de Thomas. Pour le reste, la belle unanimité prend l'eau de toutes parts : si les dictionnaires usuels (qu'ils sèment ou non à tout vent) ont clairement opté pour la graphie au pluriel − plus courante de nos jours que celle au singulier, selon Hanse −, Jacques Capelovici fait valoir, dans le sillage de Littré, que « la seule forme qu'impose la logique est contre vent et marée » puisque, à un moment donné, le navigateur ne peut affronter qu'un seul vent dominant et un seul courant de marée.
Il faut bien avouer que l'usage, en la matière, est particulièrement... flottant. Pour preuve, ces variantes orthographiques échouées sur la Toile : « contre vents et marée » (Abel Boyer, Napoléon Landais, André Jouette) ; « contre vent et marées » (Mirabeau, Léon Daudet) ; « contre vent et marée » (Mme de Sévigné, Barrès, Giono, Gide) ; « contre vents et marées » (Montherlant, Mauriac, Romain Rolland). Difficile, dans ces conditions, de tenir son cap... et de ne pas sortir les rames !
(*) On notera que seule figure, dans les éditions précédentes, la graphie au singulier.
Remarque 1 : C'est semble-t-il à tort que le TLFi laisse entendre que ladite locution serait d'abord attestée chez Mme de Sévigné, en 1676. En effet, on en trouve trace un siècle plus tôt sous la plume de Jacques Amyot, traducteur de Plutarque (« ils nagent toujours contre vent & marée », 1572), puis sous celle d'Agrippa d'Aubigné (« comment elle est parvenue contre vent & marée », 1616). De même s'étonne-t-on de lire à l'entrée « marée » du Dictionnaire historique de la langue française : « contre vents et marées (Sévigné) »... alors que la marquise écrivait la locution au singulier, si l'on en croit Littré et le TLFi !
Remarque 2 : Le même sémantisme est réalisé dans la locution avoir vent et marée (avec les deux substantifs au singulier...), qui s'est dite autrefois pour « être favorisé par les circonstances ».
Ce qu'il conviendrait de dire
Contre vent et marée (selon Littré et Capelovici) ou contre vents et marées (selon Larousse et Robert).