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Les roues de la fortune

« C'est l'un des rares véhicules à rencontrer un succès mondial » (à propos du Dacia Duster).
(Anne Feitz, sur lesechos.fr, le 28 décembre 2017)

(photo Wikipédia sous licence GFDL par Alexander-93)

 

  FlècheCe que j'en pense

 
« L'expression "rencontrer un (vif) succès" est de plus en plus utilisée, m'écrit-on dernièrement. Cet anglicisme vient supplanter "connaître un (vif) succès" qu'heureusement beaucoup utilisent encore. »

Au risque de décevoir mon correspondant, j'avoue ne pas bien percevoir l'influence de l'anglais qui se cacherait derrière ledit tour. Car enfin, celui-ci est attesté dans notre lexique depuis (au moins) le XVIIIe siècle : « Le peu de succès que la Cour de Madrid rencontre dans toutes ses entreprises » (1719), « L'Ambassadeur rencontrera un heureux succès (*) » (1757), « Le transport de cuivre [...] rencontre un succès presque inattendu » (1782) ; se... rencontre chez des auteurs avisés et souvent à succès : « Cette campagne rencontra quelque succès auprès des classes ouvrières » (André Maurois), « [Telle règle de grammaire] ne rencontra aucun succès » (Ferdinand Brunot et Charles Bruneau), « Une autre image m'est restée : celle de la cantine [...] qui rencontra le plus vif succès auprès de mes compagnons d'armes » (Jean Dutourd), « C'est que les Remarques [de Bossuet] sont parues sans rencontrer le succès de la Relation » (Françoise Mallet-Joris), « Le livre de ce rationaliste ami des philosophes rencontra un succès incroyable » (Xavier Darcos), « Génie du christianisme [de Chateaubriand] rencontra aussitôt [...] un succès foudroyant » (Jean d'Ormesson) ; et, victime de son succès, figure à trois reprises dans la neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie : « Il a rencontré un extraordinaire succès » (à l'entrée « extraordinaire »), « Gâteau manqué ou, subst., manqué, gâteau dont la recette, née à la faveur d'une erreur de cuisson, rencontra le succès » (à l'entrée « manqué »), « Poursuivre, pousser sa pointe, continuer résolument une entreprise où l'on a déjà rencontré quelque succès » (à l'entrée « pointe »). Il pointe également le bout de son nez dans le Petit Larousse illustré (« Son dernier film n'a pas rencontré le succès escompté »), dans le Grand Robert (« Avoir, obtenir par une chance. Rencontrer la réussite, le succès ») et dans le Dictionnaire historique de la langue française (« Bouteur [...] a été ressuscité pour remplacer l'anglicisme bulldozer, sans rencontrer de succès »), lequel nous apprend qu'il y a belle lurette que rencontrer peut se construire avec un complément de chose, au sens propre de « heurter ; entrer en contact avec » (XIVe siècle) et, comme dans l'affaire qui nous occupe, au sens figuré de « se trouver en présence de (circonstances, sentiments...) ; susciter telle réaction, tel sentiment » (XVIe siècle) : « Rencontrer l'amitié, le bonheur, la paix, le succès, la vérité, la souffrance, la mort [...], des aléas, des complications, des embûches, des problèmes [...], un écho favorable, un accueil chaleureux, une grande faveur, un accord unanime, une adhésion totale, un succès certain, toutes sortes d'hésitations, une forte opposition, de vives résistances » (TLFi). Bref, voilà une affaire qui roule.

Autrement suspect, aux yeux de Joseph Hanse et de René Étiemble, est le tour rencontrer des vœux, calque de l'anglais to meet (your) wishes : « Une meilleure connaissance de nos adhérents doit nous servir à rencontrer vos vœux mieux et plus parfaitement encore » (revue Liens, 1960) au lieu de « mieux les satisfaire ». L'Office québécois de la langue française, que l'on sait prompt à débusquer les anglicismes et à leur faire mordre la poussière (Duster oblige...), s'empresse de compléter la liste : « C’est une erreur d’employer rencontrer au sens de "faire ce qu’une situation demande", par exemple au lieu de réglers’acquitter de (une dette, un paiement) satisfaire à, se conformer à (une exigenceun critère, une normeune condition) répondre à (un besoinun critère) atteindre (un objectif, un quota) respecter, remplir, honorer (un engagementune obligation). Ces emplois appartiennent à l’anglais to meet, mais pas au verbe rencontrer, de sens plus restreint. »

Toujours est-il, mais cela va sans dire, que rien n'empêche l'usager de la langue comme celui de la route de préférer avoir, connaître ou remporter un grand succès à rencontrer un grand succès. Dans tous les cas, aucun risque de mauvaise rencontre n'est à craindre...


(*) Rappelons ici que succès (dérivé du latin succedere « succéder », d'où « ce qui arrive après ») désignait autrefois le résultat, bon ou mauvais, d'une entreprise, d'un évènement, d'une situation, si bien que l'expression heureux succès n'était pas un pléonasme. De nos jours, succès ne se prend plus qu'en bonne part.

 

Flèche

Ce qu'il conviendrait de dire


C'est l'un des rares véhicules à rencontrer (ou connaître, remporter) un succès mondial.

 

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