« La notion de "couple" homosexuel est-elle adaptée ? La réponse est non. Si l'on se réfère à la terminologie du Bon Usage, l'assemblage de deux éléments de même nature ne constitue pas un "couple" mais une "paire" [...]. La langue française nous indique clairement que la notion de "couple" repose sur un principe de différenciation et d'altérité. »
(Daniel Godard, sur le blog Nephtar et Nephtali, le 28 janvier 2013)
Ce que j'en pense
Voilà un article qui circule actuellement sur Internet, à l'occasion du débat sur le « mariage pour tous », dans lequel un soi-disant (au sens propre) professeur de lettres classiques affirme que couple ne peut désigner en français que deux éléments de nature différente. C'est oublier (volontairement ?) que notre langue recèle quelques subtilités qu'il peut être utile de rappeler.
Couple, nous enseigne le Dictionnaire historique de la langue française, est emprunté du latin copula qui signifie proprement « lien, chaîne » et, au figuré, « groupe de deux personnes unies par l'amitié ou l'amour », puis, à l'époque impériale, « groupe de deux choses ». L'Académie ne dit rien d'autre dans la dernière édition de son Dictionnaire : « Du latin classique copula, "lien, chaîne", "groupe de deux personnes", puis "paire". » Si l'on s'en tient à ces considérations étymologiques, l'argument du « principe de différenciation et d'altérité » paraît contestable.
Interrogeons Littré, qui ne peut guère être soupçonné de parti pris :
« Un couple, au masculin, se dit de deux personnes unies ensemble par amour ou par mariage ; il se dit de même de deux animaux unis pour la propagation. Une couple, au féminin, se dit de deux choses quelconques de même espèce, qui ne vont point ensemble nécessairement et qui ne sont unies qu'accidentellement. »
Je laisse à chacun le loisir d'apprécier ladite définition de couple au masculin : deux personnes unies ensemble par amour (tiens, tiens...), par mariage ou – Littré apportant plus loin cette précision – par amitié ou par intérêt (un couple de patineurs, d'associés). Alain Rey, dans son Dictionnaire historique, enfonce le clou : si couple au masculin désigne couramment la réunion d'un homme et d'une femme, il est employé dès le XIIe siècle au sens étendu de « groupe de deux personnes ou de deux entités » : « Mes n'avoient pas igal couple [en parlant de deux armées de forces inégales] » (Le Roman de Thèbes, 1150), « De deuz cheverouns un couple facez » (Walter de Bibbesworth, XIIIe siècle). L'Académie confirme : « Couple. Par analogie. Deux personnes unies par un sentiment commun ou par un intérêt qui les porte à agir de concert. » En résumé, cela fait plus de huit siècles que l'usage a accepté cette extension de sens à toute association de deux personnes, quel que soit leur sexe...
Il est intéressant de noter, au passage, la distinction entre un couple de poulets (en l'espèce, le mâle et la femelle) et une couple de poulets (deux éléments quelconques de la même espèce). Cet emploi – considéré le plus souvent comme vieilli – du substantif couple au féminin s'entend encore dans nos campagnes avec le simple sens de « deux », parfois de « quelques » : une couple d'heures.
Pour ce qui est de la différence entre couple et paire, Littré apporte la précision suivante :
« Une couple désignant deux choses qui ne sont unies qu'accidentellement, paire désigne deux choses qui vont ensemble par une nécessité d'usage, comme les bas, les souliers, ou une seule chose composée de deux parties ou pièces, comme des ciseaux, des lunettes, des pincettes. Une couple et une paire peuvent se dire aussi des animaux, mais la couple ne marque que le nombre et la paire y ajoute l'idée d'une association nécessaire pour une fin particulière. »
À la lecture de cette définition, on est fondé à se demander ce qui peut bien motiver chez notre professeur la volonté de parler de « paire » homosexuelle plutôt que de « couple ». Je vous laisse réfléchir... Bien sûr, paire – emprunté du latin paria, neutre pluriel (pris pour un féminin) de l'adjectif par, paris, « égal » – désigne deux objets ou êtres vivants qui sont semblables et vont ensemble. Mais rien n'indique, quand il est question de personnes ou d'animaux, que cette similitude doive forcément être sexuelle.
« Deux bœufs assemblés sous le même joug forment une paire de bœufs et non un couple de bœufs », affirme notre professeur. Un couple, peut-être pas, mais une couple, assurément, la différence avec paire résidant dans l'intention de l'association (cf. Littré, ci-dessus). De même, l'Académie note : « Paire. Couple d'animaux de la même espèce, que l'on vend ensemble ou qui travaillent ensemble. Une paire de pigeons, de tourterelles, le mâle et la femelle, destinés à la reproduction. Une paire de bœufs, accoutumés à être attachés sous le même joug. » Ce n'est donc pas la similitude sexuelle qui conditionne l'emploi de paire appliqué aux êtres vivants mais plutôt l'idée d'association nécessaire entre deux individus de la même espèce.
Alain Rey semble partager le même avis : « En moyen français, paire a commencé à s'appliquer aussi à deux personnes unies par l'affection ou par une similitude d'état », sens que l'on retrouve dans la locution proverbiale les deux font la paire. De nos jours, paire ne s'applique plus guère aux personnes que dans quelques expressions, telles que une paire d'amis – et encore, on dira plus couramment un couple d'amis – pour désigner (de façon « figurée et familière », selon l'Académie) deux amis inséparables... sans aucune considération de sexe. Ceux qui soutiennent, à propos des partenaires homosexuels, que paire serait plus approprié que couple sous le prétexte que « lorsqu'il y a paire, il n'y a pas altérité » pourraient bien en être pour leurs frais.
De là à conclure qu'il y a des paires de baffes qui se perdent...
Voir également les billets Pair / Paire / Père et Couple.
Ce qu'il conviendrait de dire
On peut lire à l'entrée couple du Robert illustré 2013 : « Homosexuels vivant en couple. »
Je vous laisse une couple d'heures pour y réfléchir...