« L'administration Obama autorise le transfèrement de 55 prisonniers de Guantanamo. »
(paru sur lemonde.fr, le 22 septembre 2012)
Camp de Guantanamo (source wikipédia)
Ce que j'en pense
Le choix du substantif transfèrement, en lieu et place du transfert attendu, a dû choquer plus d'un lecteur du Monde. J'en entends qui crient même au barbarisme. Et pourtant... ledit transfèrement figure bien dans le Dictionnaire de l'Académie française (ainsi que dans la plupart des dictionnaires usuels) : « Action de transférer. Il ne se dit guère que de l'Action de transférer des prisonniers d'un lieu de détention dans un autre. Le transfèrement des prisonniers se fit au moyen de voitures cellulaires. » Et il ne date pas d'hier : le Dictionnaire historique de la langue française le fait remonter au début du XVIIIe siècle et le dit même antérieur à transfert (lequel n'est autre que la troisième personne du singulier de l'indicatif présent du verbe latin transferre, employé à l'origine dans les registres commerciaux).
« C'est au moyen de voitures cellulaires qu'on opère le transfèrement des forçats » (Louis Le Goarant de Tremlin).
« On avait attendu, pour son transfèrement, que la station fût vide » (Edmond de Goncourt).
« [Les Juifs] lui demandaient avec tant d'instances le transfèrement du prisonnier » (Ernest Renan).
« Phileas Fogg était en prison [...] et il devait y passer la nuit en attendant son transfèrement à Londres » (Jules Verne).
« Quand l'homme s'en ira dans la nuit dévoilée, / Encor tout confondu de ce transfèrement » (Charles Péguy).
« D'autres sources d'époque font état d'un transfèrement [celui du corps de Perrine Dugué] "en grande pompe républicaine" » (Jean-Pierre Colignon).
Ce ne serait pas la première fois, du reste, que le français met à notre disposition deux termes pour une même idée – quatre, à la vérité, si l'on ajoute translation et transport. Abondance de biens ne nuit pas, comme dirait l'autre. Voire...
Il est vrai que transfert et transfèrement (notez l'accent grave), bien que tous deux dérivés du verbe transférer, ne sont pas parfaitement synonymes : le premier est à l'origine un terme de finance et de commerce, qui se dit aussi bien des personnes que des choses dès lors qu'il est question de les faire passer d'un lieu à un autre (Le transfert d'un joueur, d'un corps, des cendres de Napoléon. Un transfert de fonds) ; le second, qui ressortit à la langue juridique, est réservé aux seules personnes (spécialement aux prisonniers, que l'on transporte d'un lieu de détention dans un autre), quand translation est censé ne s'appliquer qu'aux choses (notamment en droit : translation de propriété ; et en géométrie : translation et rotation).
Pour autant, force est de constater que l'usage ne s'est pas embarrassé de ces subtiles distinctions : transfert, par sa brièveté et sa polyvalence, a aujourd'hui supplanté ses concurrents dans tous les domaines (du commerce à la psychanalyse en passant par le sport). Rien que de très prévisible pour René Georgin : « Si la spécialisation du sens est parfois nécessaire, elle paraît ici superflue [...]. Transfert, plus court, qui utilise un radical verbal sans addition de suffixe, est préférable. » Ce n'est pas une raison pour considérer comme fautifs les rares emplois des rescapés de la famille.
Remarque 1 : Dans la langue soignée, on évitera d'employer transfert à la place de mutation ou, dans le domaine des transports, à la place de correspondance.
Remarque 2 : La forme transfération se trouve sous la plume de Mirabeau : « J'espère, monsieur, que, d'après cet exposé, vous ne trouverez pas mauvais que je sollicite ma transfération. »
Ce qu'il conviendrait de dire
La même chose : transfèrement est le terme juridique approprié, même si transfert, tout aussi correct, est de langue plus courante.