« "Je dis aux banques depuis des années d'arrêter avec les paradis fiscaux, confie au JDD Daniel Lebègue, [...] président de la branche française de Transparency International, l'ONG qui traque la corruption dans le monde. Le risque n'en vaut plus la chandelle !" »
(Laurent Valdigué, sur lejdd.fr, le 10 avril 2016)
Ce que j'en pense
Loin de moi l'intention de moucher cet ancien banquier, mais tout porte à croire, dans cette affaire, qu'il s'est emmêlé les bougies entre deux expressions parallèles : le jeu n'en vaut pas la chandelle et le risque n'en vaut pas la peine.
Claude Duneton, dans La Puce à l'oreille, nous éclaire sur l'origine de la première : « [Elle] signifie littéralement que les gains du jeu [aux cartes, aux dés...] ne suffiraient pas à payer la chandelle qui éclairait les joueurs, lesquels d'ailleurs, dans les maisons modestes, laissaient en partant quelques deniers de cotisation pour rembourser cet éclairage » autrefois coûteux − et figurément que le résultat escompté ne vaut pas les frais qu'on engage, la peine qu'on se donne ou le risque qu'on prend. L'expression, populaire, est devenue à ce point proverbiale qu'elle supporte mal l'approximation. Aussi évitera-t-on ces comparaisons fantaisistes trouvées sur le Net (l'idée, le projet, le risque, le danger, le plaisir, le temps... n'en vaut pas la chandelle), qui témoignent d'une mauvaise compréhension du sens originel. À la rigueur, on pourra se laisser le choix de l'éventuelle négation (ne... pas, ne... point, ne... plus, ne... guère), voire, de façon plus osée, écrire chandelle au pluriel (*) : « Et le jeu, comme on dit, n'en vaut pas les chandelles » (Corneille), « Est-ce que ce jeu en vaut les chandelles ? » (Henri-Frédéric Amiel), « Mais on se demande si, de part et d'autre, le jeu en vaut les chandelles » (Cocteau), « Mais le jeu en vaut les chandelles » (Jean Ferniot).
En vérité, il ne s'agit pas là des seules entorses acceptables à la formule consacrée : car enfin, n'hésite-t-on pas souvent avec la variante sans en ? Il suffit de consulter le Dictionnaire de l'Académie pour s'en convaincre : « Le jeu ne vaut pas la chandelle » (première édition, 1694), « Le jeu n'en vaut pas la chandelle » (quatrième édition, 1762), « Le jeu ne vaut pas la chandelle » (sixième édition, 1835), « Le jeu n'en vaut pas la chandelle » (neuvième édition, en cours). Messieurs les Immortels, foin de ce double jeu ! Il faudrait songer à vous décider une fois pour toutes. Même embarras constaté chez Littré, qui s'en tient à la forme sans en... mais l'accompagne de la phrase de Corneille précédemment citée (avec en) !
Renseignements pris, les premières attestations de notre expression n'avaient que faire dudit pronom : « Le jeu ne valant pas la chandelle » (Charles de Flavigny, 1593), « Le jeu ne vaut pas la chandelle » (Montaigne, avant 1595). L'introduction de en s'est-elle produite sous l'influence du tour (ne pas) en valoir la peine − où en reprend un infinitif (ou, plus rarement, un groupe nominal) exprimé en amont ou sous-entendu (de faire cela), complément du nom peine ? C'est vraisemblable. Toujours est-il qu'Éman Martin a beau jeu de crier à la faute dans le journal Le Courrier de Vaugelas (en date du 1er mars 1878) : « Parce qu'au propre le mot jeu n'y pouvant recevoir, en aucun cas, un régime précédé de la préposition de, il n'y a jamais lieu de faire entrer, par suite d'une ellipse du substantif régime, le pronom en dans ladite phrase. » Quand je ferais mienne cette conclusion, il me semble que, plus que le mot jeu, c'est le mot chandelle qui, dans cette affaire, n'admet pas la construction en de. Comparez : Ça vaut la peine d'essayer ⇒ Ça en vaut la peine et Le jeu vaut la chandelle de + infinitif ⇍ Le jeu en vaut la chandelle.
Las ! le mal est fait et nombreux sont les dictionnaires qui ne jurent plus désormais que par la forme avec en. Autant dire que le pronom leur doit une fière chandelle !
(*) Nul besoin, pour autant, d'aller jusqu'aux trente-six chandelles proverbiales...
Remarque : Selon d'autres sources, l'expression viendrait du théâtre : « Avant l'apparition de l'électricité, la scène comme la salle étaient éclairées à la chandelle, ce qui coûtait une fortune. Si le jeu des acteurs était médiocre, si la pièce n'apportait pas le succès escompté [...], l'argent gagné ne servait même pas à couvrir le prix des chandelles consumées. Ainsi, le jeu ne valait pas l'argent dépensé à l'éclairage de la scène » (Anne Pouget, Le Grand Livre des pourquoi, 2013). Quelle que soit l'activité considérée, l'idée reste la même.
Ce qu'il conviendrait de dire
Le jeu ne (n'en ?) vaut plus la chandelle.