« À QUEL ÂGE PARTENT EN RETRAITE NOS VOISINS EUROPÉENS ? Alors que la Première ministre va dévoiler ce mardi un nouvel âge légal de départ en retraite, petit tour d'horizon des différentes obligations légales en la matière chez nos voisins européens. »
(Frédéric Bianchi, sur bfmtv.com, le 10 janvier 2023.)
Ce que j'en pense
Il n'en ira pas du second quinquennat d'Emmanuel Macron comme du premier : en 2023, on nous l'assure, le gouvernement ne battra pas en retraite sur le terrain miné de la réforme annoncée.
Sur celui de la langue, la situation n'est guère plus apaisée. Car enfin, je vous le demande, doit-on dire (être, mettre, partir) à la retraite ou en retraite ?
L'Académie, une fois n'est pas coutume, se montre bonne fille et laisse le choix entre les deux prépositions en concurrence : « Départ à la retraite, en retraite [1]. Un officier, un fonctionnaire à la retraite, en retraite » (à l'article « retraite » de la dernière édition de son Dictionnaire). Mais elle donne l'impression de vouloir maintenir après le verbe mettre la distinction entre retraite « fait de cesser son activité professionnelle à partir d'un certain âge ; la situation qui en résulte » et retraite « éloignement temporaire de la vie séculière, du monde, pour méditer ou prier, pour se préparer à un engagement, à une étape de sa vie spirituelle ». Comparez : « Cet officier a été mis à la retraite » (1935) et « Un tel est allé faire une retraite, s'est mis en retraite » (1694-1878).
Les vétérans Goosse et Hanse disent à peu près la même chose :
« En parlant de quelqu'un qui s'est retiré d'une fonction ou d'un emploi, tout en continuant à toucher une somme mensuelle, on dit qu'il est à la retraite ou en retraite [...]. C'est à la retraite qui est demandé après mettre ou mise, admettre ou admission » (Le Bon Usage) (2).
« Un fonctionnaire à la retraite ou en retraite, mis à la retraite » (Nouveau Dictionnaire des difficultés du français moderne).
Mais voilà que s'élèvent des voix discordantes. À commencer par celle de Louis-Nicolas Bescherelle, qui ne trouve rien à redire, lui, à l'emploi de mettre, mise en retraite dans l'acception qui nous occupe. Ne lit-on pas dans son Dictionnaire national (1845-1846) : « Un officier en retraite, c'est-à-dire mis en retraite » (à l'article « en ») à côté de « Mettre un employé à la retraite » (à l'article « employé »), « Mettre un militaire à la retraite » (à l'article « mettre ») ? De même, le Dictionnaire général d'administration (1846-1849) écrit indifféremment : « la mise en retraite de l'employé pensionnaire », « l'officier mis en retraite » ou « sa mise à la retraite », « [le directeur général] révoque, destitue et met à la retraite les employés ». Qui a dit que l'administration ne savait pas faire preuve de souplesse ? (3)
D'autres, à l'inverse, auraient plutôt tendance à alimenter le « compte pénibilité » des usagers de la langue, à force de chercher à établir un distinguo entre nos deux formules. Ainsi du Grand Robert, qui considère que « en retraite est moins usuel [que à la retraite] et connote une situation plus importante : Officier, fonctionnaire en retraite. Employé, salarié à la retraite ». Les contre-exemples ne sont pourtant pas rares sous les plumes (autrefois) actives :
« Un préfet à la retraite » (Jean Dutourd, 1950), « Ce colonel à la retraite » (Pierre-Henri Simon, 1967), « Des ambassadeurs à la retraite » (Raymond Aron, 1974), « On ne fait pas la révolution avec des généraux à la retraite » (Régine Deforges, 2003), « Un général étatsunien à la retraite » (Alain Rey, 2003 ; un comble !), « Un capitaine de cavalerie à la retraite » (Jean d'Ormesson, 2008), « Un inspecteur des finances à la retraite » (Jean Tulard, 2012), « Général britannique à la retraite, Baden-Powell [...] » (Jean Pruvost, 2013), « Un ministre à la retraite » (Jean-Marie Rouart, 2017) ; « J'épouse un facteur en retraite ! » (Max Jacob, avant 1944), « Cantonnier en retraite » (Claude Roy, 1955), « Devenu brasseur, ou boucher en retraite » (Robert Sabatier, 1964), « Des bourgeois en retraite » (Maurice Genevoix, 1970), « [Antoine] Sylvère, paisible entrepreneur en retraite » (Claude Duneton, 1990), « Commerçants en retraite » (Jean Dutourd, 2009).
Girodet, quant à lui, enverrait bien partir à la retraite... à la (ou en ?) retraite anticipée, et sans lettre de motivation : « On écrira : prendre sa retraite, plutôt que partir à la retraite » (4). Quid du suppléant partir en retraite ? Michel Massian lui règle son (solde de tout) compte sans plus de cérémonie − histoire, là encore, d'éviter toute ambiguïté avec la retraite spirituelle ? : « [On ne dit pas :] Partir en retraite. [On dit :] Partir à la retraite, prendre sa retraite » (Et si l'on écrivait correctement le français ?, 1985). Opinion d'autant plus savoureuse que la variante avec en est précisément celle que certains ouvrages de référence ont choisi de mettre en avant dans leurs colonnes (5) :
« À partir de 1580 (Montaigne), retraite exprime, sans idée de mouvement physique, l'action de se retirer de la vie professionnelle ou mondaine [et, spécialement,] la situation d'une personne qui ne travaille plus et touche une pension, notamment dans en retraite et à la retraite (mettre, être mis à la retraite, partir en retraite) » (Dictionnaire historique de la langue française, à l'article « retraite »).
« À propos de l'obligation de partir en retraite » (TLFi, à l'article « gérontophobie »).
Vous l'aurez compris : cette affaire est de toute évidence placée sous le signe de la subjectivité, de l'opinion non argumentée. Rien d'étonnant, à ce régime (spécial)-là, que d'aucuns soient tentés d'aller jouer les prolongations (de négociations, pas de trimestres !) dans la rue...
(1) Peut-on en déduire, avec le Portail linguistique du Canada, qu'« on dit également partir à la retraite/en retraite » ?
Quid, par ailleurs, du cas de préretraite ? L'alternance entre à et en est-elle encore de mise ? Force est de constater que « départ en préretraite » est le seul exemple proposé par le Dictionnaire de l'Académie...
(2) Grevisse, de son côté, se contentait d'écrire : « [Être] à la retraite (on dit aussi : en retraite) » (Le Français correct, 1973), « Indifféremment : Un officier en retraite ou à la retraite » (Quelle préposition ?, 1977).
On notera au passage que c'est à tort qu'Irène Kalinowska affirme, dans la réédition augmentée du dernier ouvrage, que le tour en retraite est « non répertorié au Dictionnaire de l'Académie (8e édition) ». Il se trouve un peu en retrait, à l'article « en » : « Un officier en activité, en retraite. »
(3) Le Dictionnaire des termes de marine (1883) ne retient toutefois que les graphies avec en (sous l'influence toute militaire de battre, marcher en retraite ?) : « Officier en retraite. Les capitaines de vaisseau seront mis en retraite à l'âge de... Mise en retraite d'office. »
(4) Le tour n'en continue pas moins de faire carrière : « Une forte préoccupation pour nos hommes, lorsqu'ils partent à la retraite, est de savoir comme ils vont être traités » (Les Retraites d'ouvriers en Belgique, 1904), « Permettre à nos officiers fatigués de partir à la retraite lorsqu'ils ne peuvent plus rendre de services » (Débats parlementaires, 1923), « Le secrétaire général devait partir à la retraite » (Roger Hagnauer, 1961), « Le jour où il était parti à la retraite » (Bernard Clavel, 2002), « Un général [...] partait à la retraite » (Michel Onfray, 2010), « Le docteur Bosquet part à la retraite » (Éric-Emmanuel Schmitt, 2014), « Il va partir à la retraite » (Christophe Barbier, 2015), « Au moment de partir à la retraite » (Patrick Besson, 2016), jusque dans des ouvrages didactiques : « Il va partir à la retraite dans dix ans » (Cécile Narjoux, Le Grevisse de l'étudiant, 2018), « Il part à la retraite l'an prochain » (Bescherelle L'essentiel, 2013).
(5) Parce qu'elle est la plus ancienne, à défaut d'être la plus fréquente de nos jours ? Citons : « Le capitaine Lainé, partant en retraite, à ses camarades » (La Sentinelle, 1842), « De telle sorte qu'aucun officier ne soit exposé à partir en retraite sans avoir ce dernier grade » (Bulletin de la réunion des officiers, 1874), « Ce brave officier allait partir en retraite, ayant trente ans de service » (Émile Simond, 1889), « Nos vieux chefs de feu sont partis en retraite, et nous n'en formons pas de nouveaux » (Romain Léopold Eynaud, 1894).
Remarque : Retraite est la forme féminine substantivée du participe passé de l'ancien verbe retraire (« raconter, relater ; contracter ; retirer ; abandonner un lieu »), lui-même dérivé du latin trahere (« tirer, traîner »).
Ce qu'il conviendrait de dire
La même chose ? Ou : À quel âge partent-ils à la retraite, prennent-ils leur retraite ?