« Fête du Travail : Macron espère "retrouver les 1er mai joyeux, chamailleurs". »
(paru sur huffingtonpost.fr, le 1er mai 2020.)
Ce que j'en pense
Sans doute eût-il été plus opportun d'aborder le sujet ô combien épineux de la graphie des noms de fête un 1er mai ou un 25 décembre. Mais enfin, je ne me voyais pas retarder plus longtemps ma réponse à la question de mon correspondant : « Je trouve dans un roman d'Eugène Dabit l'expression "(les) premiers mai", sans majuscules mais avec l'accord du premier mot au pluriel ! Au singulier, il faudrait assurément écrire "Premier Mai". Mais qu'en est-il au pluriel ? Merci d'avance. »
Avant de nous chamailler à propos de la forme plurielle, commençons déjà par faire le point sur la graphie au singulier et par rappeler que les noms des jours et des mois ne prennent pas la majuscule (le joli mois de mai)... sauf quand ils désignent, sans le millésime, des évènements historiques (la monarchie de Juillet mais les évènements de mai 68) ou, précisément, des fêtes civiles ou religieuses. Et c'est là que les choses se compliquent. Selon l'Office québécois de la langue française, « lorsque le nom [de fête] ne comporte qu'un seul mot, la majuscule est de rigueur. Lorsque le nom comporte plusieurs mots, la règle générale est de mettre une majuscule au nom spécifique (celui qui vient préciser la fête dont il s'agit) et à l'adjectif qui le précède, le cas échéant, ainsi qu'une minuscule au nom générique (par ex. fête, jour) ». Autrement dit, on écrira : (la fête de) Noël, le jour de l'An, la fête du Travail... et on distinguera le Premier Mai ou 1er Mai (= la fête) de le premier mai ou 1er mai (= la date).
Seulement voilà : ladite règle est loin de faire l'unanimité, à en juger par les divergences relevées entre les ouvrages de référence, quand ce n'est pas au sein d'un même dictionnaire ! Prenez au hasard celui de l'Académie. On lit dans la neuvième édition : « Le premier jour de mai ou, elliptiquement, le premier mai est la journée de la fête internationale du Travail » (à l'article « premier »), « Le muguet du 1er mai, jour de la fête du Travail » (à l'article « muguet »), mais « Le 1er Mai, le jour de la fête du Travail » (à l'article « mai ») − pourquoi cette majuscule à mai alors qu'il est question du jour de la fête, non de la fête elle-même ? Déjà, dans la huitième : « Le Jour de l'An, le premier jour de l'an » (à l'article « an »), mais « Le jour de l'an » (à l'article « jour ») (1). Comprenne qui pourra !
Ces contradictions ne sont hélas ! pas propres à l'Académie. Ne lis-je pas, avec le même agacement, dans mon Robert illustré 2013 : « Muguet du premier mai » (à l'article « mai »), mais « Le muguet du 1er Mai » (à l'article « muguet ») ? Et dans le TLFi : « La fête des mères » (à l'article « mère » ; graphie adoptée par l'Académie et par Hanse), mais « La fête des Mères » (à l'article « fête » ; également chez Robert, Girodet et Nouailhac). Et que dire encore de Girodet, qui prône l'emploi de la majuscule et du trait d'union quand la date désigne une fête : « Le 14-Juillet est une fête populaire et patriotique à la fois. Le 1er-Mai, fête des travailleurs » et qui ajoute aussitôt : « On écrit d'ailleurs plutôt : le Premier Mai »... sans trait d'union ? Terminons ce défilé des spécialistes en signalant que Larousse se montre le plus exhaustif : « Le Premier-Mai, le 1er-Mai (= la fête du Travail), avec une majuscule à mai et un trait d'union ; on trouve parfois le Premier Mai, sans trait d'union : les défilés du Premier-Mai, du 1er-Mai ou du Premier Mai, du 1er Mai. Mais jamais de majuscule ni de trait d'union s'il s'agit du simple énoncé de la date : Nous nous verrons le premier mai. » Et Hanse, le plus conciliant : « On écrit : la fête du travail ou du Travail, du premier mai ou du Premier Mai. » (2)
Mais venons-en à la question de mon interlocuteur : quid de la graphie au pluriel ? Comme on pouvait s'y attendre, la cacophonie règne là encore en maîtresse absolue. Jugez-en plutôt : « Les Premier Mai, répétés, auront raison de la société bourgeoise » (Jules Guesde, 1892), « Les Premier Mai étaient agités » (Charles Ferdinand Ramuz, 1948) ; « Et les premiers Mai ! » (Maurice Thorez, 1954) ; « [Les] défilés des premiers mai d'avant-guerre » (Frédo Krumnow, 1979) ; « [Les] sempiternels défilés des premiers mais praguois » (Ivo Fleischmann, 1982) ; « Les 1ers Mai français » (Danielle Tartakowsky, 2005), mais « Les Premiers mai se suivent sans se ressembler » (Id., 2013) ; « Défilés des 1er Mai » (Olivier Fillieule, 2018) ; « Le muguet des Premiers Mai » (Éloïse Lièvre, 2020). Vous parlez d'une fanfare ! Rares sont, au demeurant, les grammairiens qui osent s'aventurer sur ces sentes escarpées, si ce n'est pour traiter le cas particulier de la simple indication de date au pluriel : les premiers mai, sur le modèle de les premiers du mois « chaque premier jour » (Petit Robert), « le premier jour de chaque mois » (Le Bon Usage) (3). André Goosse, que l'on a connu plus précis, se contente d'évoquer « une gêne devant la marque du pluriel, parce que le premier janvier, le premier mai ne désigne pas un jour comme les autres, mais très souvent une fête » (pas un mot à cette occasion sur la majuscule distinctive !) et soulève plus de questions qu'il n'en résout quand il ajoute : « Ces formules sont des locutions » − sous-entendu invariables ? À peine moins évasif, un autre spécialiste se jette à l'eau... sans davantage se mouiller :
« Les noms propres de fêtes, tout en gardant la majuscule graphique, sont susceptibles de pluralité, avec déterminant, quand ils indiquent la répétition de la fête. La marque du pluriel est facultative lorsqu'il s'agit des noms composés.
j'ai passé un excellent Noël à la montagne [durée de la fête, le jour de Noël], j’ai passé Noël en famille.
vs j'ai passé plusieurs Noëls à la montagne [jours de Noël].
le Premier-Mai de cette année a été unitaire [le défilé syndical du Premier Mai].
vs les Premier(s)-Mai(s) sont l'occasion d'offrir des brins de muguet.
Le 14(-)Juillet est le jour de la fête nationale en France.
vs les 14-Juillet(s) sont l'occasion de défilés militaires » (Jean Dubois, Le Nombre en français, 2008).
Vous l'aurez compris : l'usage, dans cette affaire, de la majuscule, du trait d'union et de la marque du pluriel se dérobe à toute tentative de synthèse. Aussi préféré-je à mon tour botter en touche, au risque de me faire sonner les clochettes, et inviter mon interlocuteur à s'en remettre à ce bon vieux dicton : en mai, fais ce qu'il te plaît !
(1) Précisons que la graphie avec minuscules est seule retenue dans les deux articles de la neuvième édition.
(2) Et aussi : « Le 1er-Mai » (Thomas), « Le 1er Mai » (Jouette, Nouailhac), « Le Premier Mai » (Colin, Bescherelle), « Le Premier Mai ou 1er Mai » (Office québécois de la langue française).
(3) Mais même dans ce cas, des divergences existent. Comparez : « Les premiers janvier de Paris ne bénéficient pas souvent d'un climat indulgent » (Colette) et « La même chose se renouvela tous les 1er mai » (Alexandre Dumas).
« Pour les quantièmes autres que premier, on emploie le numéral cardinal et on le laisse invariable, précise Goosse : Tous les onze novembre. »
On écrira par ailleurs : des mais ensoleillés, des septembres pluvieux, les noms des mois (comme ceux des jours) étant des noms communs qui, en tant que tels, sont susceptibles de prendre la marque du pluriel.
Remarque : Il semble qu'Eugène Dabit, cité par mon correspondant, était lui-même en proie aux hésitations − à moins que ce ne fussent ses éditeurs. Comparez : « Les copains l'avaient entraîné dans la politique ; on faisait de "vrais" premiers mai » (L'Hôtel du Nord, chez Robert Denoël, 1929) et « On faisait de "vrais" premier mai » (Ibid., chez Fayard, 1934, et chez Denoël, 1977) ; « Des premiers Mai, il en avait connus de plus mouvementés à Paris » (La Zone verte, chez Gallimard, 1935).
Ce qu'il conviendrait de dire
À vous de voir...