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La fête à ne... ne

La fête à ne... ne

« À la fin des années 1980 et jusqu'au début du XXIème siècle, le génie de la création évoluait dans un corps imposant. Des kilos – 41 plus exactement – dont il s'est séparé en 2001 sans ne plus jamais ne les reprendre » (à propos de Karl Lagerfeld, photo ci-contre, récemment disparu).
(Mathilde Fontaine, sur voici.fr, le 19 février 2019)  

(photo Wikipedia sous licence GFDL par Georges Biard)

 

FlècheCe que j'en pense


On connaît la mode du ne − fût-il explétif ou négatif − qui se répand après sans que en dépit des mises en garde de l'Académie : « Sans ayant une valeur pleinement négative dans sans que, cette locution conjonctive ne veut jamais le ne explétif » (Grammaire de l'Académie française, 1932, citée par Étienne Le Gal), « Sans que doit se construire sans négation, même s'il est suivi d'un mot comme aucun, personne ou rien, qui ont dans ces phrases un sens positif. Exemple : sans que personne puisse s'y opposer, et non : sans que personne ne puisse s'y opposer » (communiqué publié par l'Académie en 1966) (*).

Mais voilà que l'intrus s'invite dans la construction sans suivi d'un infinitif, par transformation de la complétive (quand le sujet de la subordonnée est le même que celui de la principale) :

« Comment parler longtemps sans ne rien dire » (BFMTV), « Un individu habitué à courir dépense davantage que son voisin non-sportif, et ce sans ne rien faire » (Ouest-France), « Sans ne vexer personne » (La Nouvelle République), « Un fonctionnaire des finances publiques est soupçonné d’avoir exploité une épicerie héraultaise sans ne jamais avoir déclaré les recettes » (LCI), « On passe devant sans ne plus y faire attention » (La Provence), « La marque du pluriel sera désormais apportée uniquement au second élément [...] sans ne plus avoir à s'attarder sur la question du sens » (Lucie Carré, « relectrice-correctrice »).

Là encore, observe Grevisse, il n'est que trop clair que « ne est amené abusivement par un mot pseudo-négatif » − en l'espèce rien, personne, jamais, ordinairement auxiliaires de la négation mais qui, dans ces exemples, doivent s'entendre positivement au sens de « quelque chose », « quelqu'un », « un jour ». De même, c'est la présence de plus qui entraîne dans son sillage le ne parasite − n'écrirait-on pas à la forme négative : il n'y fait plus attention, il n'a plus à s'attarder sur la question ?

Sans doute me rétorquera-t-on, et avec quelque apparence de raison, que ce phénomène ne date pas d'hier. Le XVIe siècle, notamment, « fournit un contingent assez important d'exemples où ne se montre dans de pareilles conditions auprès de l'infinitif », confirment Damourette et Pichon dans Des Mots à la pensée : « Ils ne peuvent entierement posseder [la prudence] sans ne rien ignorer de ce que dict est » (Jean du Tillet, avant 1570), « Sans jamais ne luy en avoir fait ne dit aucune chose » (Pierre de L'Estoile, 1583), « Sans ne laisser en si grande misere Paistre mes yeux de la haulte lumière » (Jean de Vitel, 1588). Deux siècles plus tôt, point défilait déjà au côté de sans devant un infinitif : « Dont elle tenra closement Son secret, sans point reveler » (Guillaume de Machaut, vers 1349), « Sans point faire de noise » (Miracle de Théodore, 1359). Ces exemples ne sont pas à imiter en français moderne, au risque de verser dans la redondance, voire... dans le franc bégaiement !

(*) On notera toutefois que l'Académie tolère désormais la présence dudit ne lorsque la principale est elle-même négative (voir cet article).

 

Flèche

Ce qu'il conviendrait de dire


Des kilos qu'il a perdus sans jamais plus les reprendre.

 

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