« Panzani élabore ses recettes de sauces avec des tomates de plein champs, mûries au soleil. »
(sur panzani.fr)
Ce que j'en pense
Loin de moi l'intention d'en faire tout un plat (en sauce), mais c'est vraisemblablement sous l'influence de temps que champ se voit plus souvent qu'à son tour affubler d'un s au singulier. Rappelons à toutes faims, pardon à toutes fins utiles que celui-ci est emprunté du latin campus (« plaine », d'où « plaine cultivée, champs », « champ de bataille » et au figuré « champ d'action »), nom masculin de la deuxième déclinaison qui fait campum à l'accusatif, alors que celui-là est issu de tempus, nom neutre de la troisième déclinaison qui ne change pas de terminaison à l'accusatif. Or, ce sont précisément les formes à l'accusatif qui se sont maintenues le plus souvent en français. Ainsi temps a-t-il conservé le s étymologique que champ a perdu. Il convient donc d'écrire de plein champ, comme le confirme l'Académie à l'entrée « culture » de la neuvième édition de son Dictionnaire : « Culture de pleine terre, de plein champ. »
Le pluriel de pleins champs (avec un s à pleins et à champs) serait-il pour autant incorrect ? Après tout, on trouve bien les graphies en plein champ et en pleins champs sous la plume de nos écrivains. J'en veux pour preuve cette moisson de citations : « Savez-vous pour la gloire oublier le repos, / Et dormir en plein champ le harnais sur le dos ? » (Boileau), « Je me mis en devoir de sortir mes effets, déterminé à les laisser en plein champ » (Rousseau), « Elle accoucha en plein champ par un matin de printemps » (Maupassant), « L'idée qu'il pût un jour manger à la gamelle et coucher en plein champ lui faisait dresser les cheveux sur la tête » (Sand), « Nous avons vu en plein champ un chaland qui arborait un mât et des voiles » (Giono), « La gare était située en plein champ » (Obaldia), « Le convoi s'était arrêté trente fois ou davantage en plein champ » (Dutourd), à côté de « Un exercice modéré en pleins champs » (Lamartine), « Comme un manouvrier en pleins champs » (Baudelaire), « Cela lui semblait naturel d'être en pleins champs » (Zola), « Nous finîmes par coucher tous en pleins champs » (Gide), « On se retrouvait en pleins champs, on entendait des cloches lointaines » (Proust), « C'était ici, à cette halte en pleins champs » (Green) (1). Pourquoi n'aurait-on pas également le choix du nombre avec de plein champ ?
Commençons par observer que l'Académie n'a jamais écrit en plein champ autrement qu'au singulier dans son Dictionnaire. Pour autant, on peut lire à l'entrée « champ » de la dernière livraison dudit ouvrage : « Par extension. Surtout au pluriel. L'ensemble des terres, labourées ou non, situées hors des agglomérations. [...] Expression. En plein champ, en pleine campagne [2]. À travers champs, sans suivre les sentiers. » Consigner une locution au singulier parmi des emplois « surtout au pluriel », avouez qu'il y a de quoi semer le trouble... et récolter la contestation : « On dit en plein champ (selon l'Académie), et mieux peut-être en pleins champs (avec le signe du pluriel), pour dire au milieu de la campagne, loin de toute habitation et à ciel découvert » (Dictionnaire de la conversation et de la lecture, 1834). Meilleur, le pluriel ? C'est que la langue classique, nous apprend le Grand Larousse, avait pris l'habitude d'employer le mot champ au pluriel pour désigner « la campagne, par opposition à la ville », à l'instar de la célèbre fable de La Fontaine Le Rat de ville et le Rat des champs. Littré ne dit pas autre chose : « Au pluriel. La campagne en général », mais c'est avec la même inconséquence que celle dont fait preuve l'Académie qu'il mentionne la forme en plein champ dans le paragraphe pourtant consacré aux emplois de champ au pluriel. Le dictionnaire à la Semeuse, avec son bon sens paysan, préfère prudemment laisser le champ libre aux deux graphies : « En plein(s) champ(s), en rase campagne, loin des chemins. » Même neutralité du côté du Robert illustré : « En plein(s) champ(s), au milieu de la campagne. » Seul le Grand Robert, à ma connaissance, propose de couper la tomate, pardon la poire en deux : « Locution. En pleins champs : au milieu des cultures. Marcher, passer la nuit en pleins champs. [...] Locution. Au singulier. En plein champ. Technique. Culture en plein champ (opposé à hors-sol) [3]. » Autrement dit, le pluriel serait réservé au sens général et indéterminé de « au milieu des cultures », et le singulier, au sens technique (« agricole ») qui nous occupe ici. Quand elle serait peu respectée par les auteurs, à en croire les exemples cités plus haut, cette répartition sémantique a au moins le mérite d'accréditer l'idée que la graphie de plein champ est seule recevable. (Tomate) Cerise sur le gâteau, on y fait l'économie de deux s. La langue sait se montrer bonne pâte à l'occasion...
(1) Et aussi : « L'exécution des tirs en plein champ » (Joffre), « [...] aux fragments de chapiteaux égarés en plein champ » (Frédéric Vitoux), « Ils plantent la tente en plein champ, près de la mer » (Franz-Olivier Giesbert), mais « Millet, Rousseau vont bien chercher leurs motifs en pleins champs » (Élie Faure), « Il fallait aller la prendre [la marchandise de contrebande], l'avancer lentement, par étapes, la recacher en pleins champs » (Maxence Van der Meersch), « Dans ce pré-là, la bête a pris l'air en pleins champs » (Louis Étienne).
(2) La définition de en plein champ a quelque peu varié au gré des éditions et des entrées : (à l'entrée « champ ») « loin de toute habitation » (1798), « au milieu des champs, de la campagne » (1835-1935) ; (à l'entrée « plein ») « au milieu d'un champ » (1762-1798), « au milieu des champs » (1835-1935).
(3) J'aurais plutôt pensé, pour ma part, que hors-sol s'opposait à en pleine terre, et sous serre, à en plein champ. Mais bon, je dois être dans les choux, sur ce coup-là, puisque l'Académie écrit à l'article « plein » de la neuvième édition de son Dictionnaire : « Plantation en pleine terre, de pleine terre, plantation faite directement dans la terre et non en pot ; s'applique aussi aux végétaux qui poussent à l'air libre et non en serre. »
Remarque : Panzani persiste et signe : « Des tomates mûres de plein champs », lit-on dans sa dernière publicité en date (2017). Des tomates mûries en plein champ aurait été de meilleure langue.
Ce qu'il conviendrait de dire
Des tomates de plein champ.