« Elle tombait dans les bras accueillants de ceux que les remuements fiévreux de son derrière avaient rendus tout choses. »
(Lydie Salvayre, dans son roman Hymne, paru au Seuil)
Ce que j'en pense
Si la chose paraît entendue au féminin − Elle m'a paru toute chose (Académie) ; Elle est toute chose (Hanse) −, reconnaissons que le doute est permis au pluriel : doit-on écrire Ils sont tout chose ou Ils sont tout choses ?
Inutile d'espérer une aide quelconque des ouvrages de référence, tant ceux-ci restent désespérément muets sur la question. Seuls le Jouette et le TLFi osent se jeter à l'eau... mais dans des directions diamétralement opposées : le premier opte pour la graphie « Ils sont restés tout choses », quand le second prône l'invariabilité en citant Goncourt : « Les officiers sont si chose » (phrase que l'on trouve écrite, au demeurant, avec choses au pluriel dans certaines éditions). Une chose est sûre : nous voilà bien avancés !
L'unanimité n'est pas davantage de mise chez les écrivains. Jugez-en plutôt : « Seulement il dit parfois des choses que l'on trouve un peu choses » (Louis Veuillot) ; « Vous semblez tout choses » (Gerald Messadié) ; « quand on voit comme certains en sont tout choses » (André Blanchard) ; mais « [Le monsieur] la regardait longuement, gravement, avec des regards tout chose » (Jean Richepin) ; « toujours il y aura des grosses femmes − et même des petites − qui "se sentent tout chose" » (Jules Lemaître) ; « Elle a même un petit qui a les yeux tout chose » (Marie Susini) ; « les seize ans du fils de l'épicier se sentaient tout chose » (René Fallet) ; « ils deviennent tout chose » (Calixthe Beyala).
En désespoir de chose, pardon de cause, j'ai donc décidé de solliciter l'avis du service du Dictionnaire de l'Académie française sur le sujet. « Dans ce cas chose est invariable, me confirme-t-on dans un courriel laconique. On lit, chez Goncourt, Les officiers sont si chose. » Oserai-je l'avouer ? Voilà qui me donne l'impression d'une réponse rédigée à la hâte après un détour par le TLFi... Car enfin, si telle est officiellement la position de l'Académie, pourquoi ne pas aller au fond des choses, en précisant clairement dans le Dictionnaire du quai Conti que chose est invariable dans cet emploi ? Comparez : « Chose², mot invariable. Fam. Nom en construction d'attribut (plus rarement d'apposition), avec valeur d'adjectif caractérisant » (TLFi) et « Adj. Fam. Mal à l'aise d'une façon indéfinissable, souffrant. Se sentir un peu chose. Elle m'a paru toute chose » (dernière édition du Dictionnaire de l'Académie).
En l'espèce, la mention « adjectif », reprise en chœur par les dictionnaires usuels, ne me paraît guère appropriée. Car que signifie chose dans notre expression ? Thémiseul de Saint-Hyacinthe, dans ses Remarques sur Le Chef-d’œuvre d'un Inconnu (1714), nous met sur la voie : « Il étoit proprement ce que l'on appelle, dans le style familier, être tout je ne sais comment ; dans le style bas, être tout chose. » Le substantif chose sert, en effet, depuis longtemps à désigner ce dont on ignore le nom, que l'on ne peut ou que l'on ne veut pas nommer : Le Petit Chose d'Alphonse Daudet ; « Les sieurs Machin et Chose » (G. Duhamel). De là, selon toute vraisemblance, l'origine de la locution être, se sentir tout chose, entendez éprouver un malaise que l'on ne saurait décrire ni analyser, d'où être bizarre, décontenancé, ému, gêné, mal disposé, mal à l'aise.
Alors nom ou adjectif, variable ou invariable ? Force est de constater que, dans cette affaire, nos spécialistes ont bien du mal à accorder leurs violons. La langue serait-elle chose trop sérieuse pour qu'on l'abandonne aux seules mains des grammairiens et des lexicographes ?
Remarque : Bruno Dewaele a également abordé cette épineuse question sur son excellent blog(ue) À la fortune du mot, auquel on pourra se reporter... si ce n'est déjà chose faite.
Ce qu'il conviendrait de dire
Elle tombait dans les bras accueillants de ceux que les remuements fiévreux de son derrière avaient rendus tout chose (selon l'Académie).