« Une nouvelle signalétique va être mise en place à la gare pour orienter les voyageurs vers l'une et l'autre lignes. »
(Lorie Bosdecher, sur sudouest.fr, le 7 juillet 2015)
Ce que j'en pense
Il n'y a que chez les littéraires qu'un plus un n'égale pas forcément deux. Ainsi, après le tour l'un (l'une) et l'autre, employé adjectivement, le nom qui suit immédiatement et le verbe se mettent « normalement » (selon Thomas) ou « le plus souvent » (selon Girodet) au singulier : « L'un et l'autre rival, s'arrêtant au passage, Se mesure des yeux, s'observe, s'envisage » (Boileau) ; « L'une et l'autre hypothèse peut être prise » (Girodet). Une façon comme une autre de laisser entendre à qui sait lire entre les... lignes que l'accord au pluriel se rencontre à l'occasion (1). Et de fait, Goosse − le continuateur de Grevisse − ne cache pas sa préférence, solides cautions à l'appui : « Le verbe et l'attribut se mettent d'ordinaire au pluriel quand le sujet est un syntagme constitué par tel et tel ou l'un et l'autre + nom singulier : L'une et l'autre hypothèse sont également plausibles (A. Hermant). L'une et l'autre tactique eurent même résultat (R. Rolland). L'une et l'autre affaire se tiennent (E. Henriot). » Il faut croire que nos experts n'ont pas la même perception de l'usage ordinaire... Rien d'étonnant, dans ces conditions, à ce que l'Académie, qui ne signalait encore que le singulier dans la huitième édition de son Dictionnaire, laisse prudemment le choix dans la neuvième et dernière : « L'une et l'autre saison est favorable ou sont favorables pour ce voyage » (2).
Mais revenons à notre sujet, ou plutôt à nos sujets. Il ne vous aura pas échappé, à ce stade de l'article, que, si débat il y a entre les spécialistes, celui-ci ne semble porter que sur l'accord du verbe quand l'un (l'une) et l'autre est construit avec un substantif, pas sur le nombre dudit substantif, lequel « se met toujours au singulier » à en croire Littré. Mais voilà que Grevisse sème le trouble dans Problèmes de langage (1962) : « On aurait tort de souscrire les yeux fermés à cette règle de Littré [...]. Pour la logique arithmétique, l'un et l'autre, cela fait plus un, c'est-à-dire deux personnes ou deux choses. » Trop absolue la position de Littré, pour qui voudrait insister sur l'idée de conjonction ? Goosse n'y trouve pourtant pas grand-chose à redire dans la quinzième édition du Bon Usage : « Certains auteurs mettent le nom au pluriel malgré les déterminants et/ou les adjectifs au singulier [...] ; cet usage est contestable [...]. Le nom qui suit l'un et l'autre, l'un ou l'autre, ni l'un ni l'autre est habituellement et traditionnellement au singulier. » Comprenne qui pourra... Le fragile consensus vole définitivement en éclats avec cet exemple emprunté à un Hanse qui n'hésite pas à franchir la ligne jaune : « L'un et l'autre parti m'inquiète (ou l'un et l'autre partis m'inquiètent). » L'Office québécois de la langue française a beau jeu de préciser que « dans les rares cas où le nom qui suit l'un et l'autre est au pluriel, le verbe se met nécessairement au pluriel », gageons que plus d'un usager hésiterait à parler de l'un et l'autre... chevaux ! « C'est que ce tour de phrase est elliptique » explique Girault-Duvivier − comprenez : le substantif cheval est attendu après l'un, comme il le serait après le premier dans le premier et le second cheval ; partant, le singulier reste attendu quand, par souci d'économie, le nom n'est exprimé qu'une fois. Un plus un égale un !
Résumons : après l'un et l'autre, le nom qui suit est en principe au singulier − même si les exemples au pluriel ne sont pas aussi rares qu'on voudrait nous le faire croire (3) − et l'éventuel verbe peut se mettre au singulier ou au pluriel, selon que l'on insiste sur le sens distributif ou sur le sens collectif.
Et d'aucuns se demandent encore pourquoi la langue courante préfère dire les deux...
(1) Notamment « quand l'idée de conjonction, de réunion l'emporte », lit-on dans le Larousse en ligne.
(2) On notera que c'est le choix inverse qui est proposé dans Le Bescherelle pratique : « L'une et l'autre solution conviendront ou conviendra. »
(3) « L'une et l'autre doctrines » (H. Bergson) ; « L'un et l'autre partis » (R. Rolland, visiblement partagé sur la question) ; « L'une et l'autre explications » (P. Louÿs) ; « À l'un et à l'autre moments » (M. Proust) ; « Dans l'une et l'autre prises de vues » (H. de Montherlant) ; « À la base de l’une et l’autre hérésies » (Henri Petiot) ; « l'une et l'autre étoiles » (H. Bazin).
Remarque 1 : Selon Jacqueline Bossé-Andrieu, la phonétique ne serait pas étrangère à notre affaire : « On met parfois le nom au pluriel lorsque le singulier se prononce comme le pluriel : L'une ou l'autre route(s) sont interdites à la circulation » (Abrégé des règles de grammaire et d'orthographe, 1996).
Remarque 2 : Selon Thomas, si l'un et l'autre est pronom, l'accord est facultatif, mais le pluriel est le plus fréquent : L'un et l'autre sont venus. Le pluriel est toutefois de rigueur si le verbe précède : Ils sont partis l'un et l'autre.
Ce qu'il conviendrait de dire
Orienter les voyageurs vers l'une et l'autre ligne (selon l'Académie).