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L'important, c'est de participer

L'important est de participer

« Le Cap Ferret est plébiscité par des personnes célèbres comme Xavier Niel [...], le chanteur Pascal Obispo ou encore l'actrice Audrey Tautou, ce qui participe de la notoriété du site. »
(Marine Richard, sur lefigaro.fr, le 25 juin 2022.) 
Image Pauline Launay

 

FlècheCe que j'en pense


Un lecteur de ce blog(ue) m'interpelle en ces termes : « Il se développe depuis plusieurs années une drôle de mode, celle de remplacer le à de participer à par un de. C'est d'autant plus étonnant que l'expression participer de est une expression pour intellectuels et qu'elle a un sens presque inverse par rapport à l'expression participer à. »

Mon correspondant sera sans doute surpris d'apprendre que cette « mode » n'est pas nouvelle. Au milieu du XVIIe siècle, déjà, Vaugelas critiquait la phrase de Malherbe : « Quant à l'avis dont vous voulez que je participe » (Lettres, 1613), considérant que participer gouverne toujours le datif (et donc la préposition à). Il faut attendre Richelet et, surtout, Andry de Boisregard pour voir formuler la distinction moderne entre les deux constructions (1) :

« Participer. Avoir part, partager. Il est difficile de participer à ce plaisir. Tenir l'un de l'autre. L'hermaphrodite participe de l'un et de l'autre sexe » (Richelet, Dictionnaire françois, 1680).

« Lorsque participer signifie "entrer en partage", on dit participer à [...]. Mais quand participer signifie "tenir de la nature ou de la qualité d'une chose", on dit participer de [...]. C'est à dire que participer à se dit à l'égard d'une chose purement extérieure (comme participer aux frais, à la dépense, au peché d'autruy, aux prieres des fideles) et que participer de se dit de ce qui est propre à la chose [ou à la personne] qui participe (comme le loup participe du chien, la plupart des couleurs participent les unes des autres, cette fille participe de l'humeur de sa mere) » (Andry de Boisregard, Suite des réflexions critiques sur l'usage présent de la langue françoise, 1693) (2).

À y bien regarder, cette distinction entre participer à (« avoir part, prendre part à [quelque chose d'extérieur] ») et participer de (littéralement « avoir en soi une part (de la nature, de la qualité) de », d'où, approximativement, « tenir de » [3]) est conforme à l'opposition traditionnelle entre les prépositions à et de : « À correspond à une visée prospective [d'origine vers but], une vision d'au-delà ; de correspond à une visée rétrospective, un vision d'en deçà », écrit Pierre Cadiot (De et deux de ses concurrents, 1993), à la suite de Gustave Guillaume (4). Elle est surtout conforme au concept de participation, qui désigne, dans la dialectique platonicienne puis dans la métaphysique chrétienne, le rapport − de ressemblance ou d'imitation − que les réalités sensibles (ou créées) entretiennent avec leur modèle intelligible (ou divin) : « Quant à toutes choses belles, elles participent de luy [= le Beau, l'Idée du beau] » (Louis Le Roy traduisant Platon, 1558), « Sainct Augustin [dit que] l'homme recevant son Dieu sera tout mué en luy, et faict participe [= participant, associé] de la nature divine, comme frere dudict Jesus Christ » (Pierre Doré, 1559), « Et tout ainsi comme le soleil reluisant sur les corps et se communiquant diversement à iceux, [le sainct Esprit] n'est en rien diminué par ceux qui participent de luy » (Frédéric Morel, 1586). On le voit : participer de, dans son acception philosophico-théologique, c'est tenir son être d'un principe conceptuel, d'une entité supérieure (qui peut donner les mêmes caractéristiques à plusieurs réalités) tout en en différant. (5)

Mais revenons au tournant du XVIIIe siècle. Force est de constater, avec Ferdinand Brunot, que nos deux constructions étaient encore souvent confondues (ou perçues comme interchangeables), ainsi qu'en témoignent les exemples suivants : « On peut dire que l'éloquence des auteurs italiens participent à ce caractère général » (Antoine Léonard Thomas, 1773), « Vivans dans un siècle éclairé, ils semblent avoir craint de participer de ses lumières » (Pierre-Louis de Lacretelle, 1778), « Le style de ce discours devoit naturellement participer au vice du sujet » (Jean Joseph Dussault, 1801) (6). Est-ce la raison pour laquelle Féraud se crut fondé à introduire une restriction qui n'existait pas chez ses prédécesseurs : « Participer à se dit des persones et participer de s'aplique aux chôses » (Dictionnaire critique, 1787) ? Reprise par quelques suiveurs (Girault-Duvivier, Grammaire des grammaires, 1819 ; Émile Lefranc, Grammaire française, 1826 ; Félix Biscarrat, Manuel de la pureté du langage, 1835), ladite restriction fut fermement dénoncée par Jean-Charles Laveaux : « Quelques grammairiens ont conclu [...] que participer est suivi de à quand son sujet est un nom de personne, et qu'il est suivi de la préposition de quand son sujet est un nom de chose. Cette règle est fausse, car on pourrait fort bien dire d'un homme, né d'un blanc et d'une noire, il participait de l'un et de l'autre ; et en parlant d'une plante, elle participait aux soins que l'on donnait à toutes les plantes de ce jardin [7] » (Dictionnaire raisonné des difficultés grammaticales et littéraires de la langue française, 1822). Aussi s'étonne-t-on d'en retrouver trace de nos jours, par exemple dans le Robert en ligne : « (sujet chose) Participer de : tenir de la nature de », ou chez Jean-Paul Colin, qui pousse le raffinement encore plus loin : « Avec un sujet humain, on emploie la préposition à, et le sens est "prendre part à". En revanche, avec un sujet nom de chose, le sens est "faire partie (d'un ensemble)" et la préposition est en ce cas de : Je maintiens donc que cette mort de madame la comtesse et les attentats ne participent pas d'un même univers criminel (René-Victor Pilhes, 1985). Mais l'idée de "participation involontaire" peut être exprimée, même dans le cas d'un sujet humain, avec la préposition de : Dans la grande lignée des romans noirs, et sans savoir de quoi il s'agissait, nous participions de ces messes noires, de ces sabbats de sorcières calfeutrées (Patrice Llaona, 1990) » (Dictionnaires des difficultés du français). Vous parlez d'un abîme de subtilités !

Mais il y a pis : l'analyse de Colin montre assez que les spécialistes ne parviennent plus, désormais, à s'accorder sur la définition même de participer de. Comparez : « comporter une similitude de nature avec, relever de » (Hanse), « présenter certains caractères semblables ou analogues à » (Larousse en ligne), « avoir un élément commun avec » (Dupré), « tenir de la nature de ; avoir part à » (TLFi), « faire partie de » (Jean-Paul Colin, donc, mais aussi Claude Kannas, Le Bescherelle pratique, 2006), « découler de » (Pascal-Raphaël Ambrogi, Particularités et finesses de la langue française, 2005), « émaner de » (Collins Dictionary, 2005). À chaque participant son point de vue... La définition du TLFi, cela dit, ne manque pas d'intérêt en ce qu'elle suggère, me semble-t-il, une nouvelle distinction : à participer à le sens actif général de « apporter sa contribution à » (« prendre part activement à ») et à participer de le sens passif général de « recevoir une part de » (« tenir de la nature de », « avoir part à », quand bien même cette dernière acception serait toujours rattachée à participer à dans le Dictionnaire de l'Académie) (8). De là, sans doute, l'opposition participation volontaire / participation involontaire signalée par Colin (et aussi par l'Office québécois de la langue française : « Dans ce conte, le héros participe de la divinité tout en présentant un visage humain »).
Goosse, de son côté, a beau jeu de constater « une tendance à élargir la signification de participer de », jusque chez de bons auteurs : « Elle promena sur l'assistance un regard circulaire et la fit participer tout entière de son remerciement » (Abel Hermant, 1906), « Je participais entièrement de l'esprit qui les [= des textes] animait » (André Breton, 1926), « Il ne savait pas qu'il participait d'un mal très répandu » (Aragon, 1944) ». Mais que n'a-t-il pris le parti de déterminer ledit sens élargi !... Autant l'exemple d'Hermant ne laisse pas en effet d'étonner (peut-il s'agir d'une « simple » confusion entre prépositions ?), autant celui d'Aragon paraît, tout bien pesé, conforme à l'analyse d'Andry de Beauregard : certes, Aurélien ne présente pas à proprement parler « une similitude de nature » avec un mal (en l'occurrence, l'irrésolution), mais il porte en lui une part de ce mal très répandu parmi ses anciens compagnons d'armes. Cendrars a écrit de même : « L'enfant participe plus sûrement de l'hypocrisie générale et des mensonges et des conventions de ses parents qu'il ne se nourrit de la mamelle de sa mère » − comprenez : son être est façonné par l'hypocrisie générale et par la personnalité de ses parents plus que par le lait maternel. On pourrait encore citer : « L'homme est engangué dans la nature ; il participe des réactions physico-chimiques du minéral ; il participe de la vie végétative de la plante ; il participe de l'animalité » (Barrès), « [Les nobles] avaient participé du caractère sacré du roi, et, quand ils n'en participèrent plus, furent balayés » (Malraux).

Terminons ce tour d'horizon avec la remarque d'usage apportée par Dupré en 1972 : « Participer à est du langage courant ; participer de est d'un style plus savant [ou plus littéraire], mais on peut en recommander l'usage dans des cas où le langage familier emploie improprement ressembler, correspondre, etc. » Il faut croire que le message n'a été reçu qu'en partie : participer de a, depuis lors, bel et bien pénétré l'usage courant (surtout écrit), mais dans des emplois tout aussi suspects ! Qu'on en juge : « Notre merveilleux patrimoine participe du rayonnement de la France dans le monde » (Pierre Jaskarzec, Le Mot juste, 2006), « Ceux qui voudraient participer de ces provocations » (Manuel Valls, 2012), « Les images de la guerre du Vietnam [...] ont sans doute participé de la fin du conflit » (Libération, 2013), « Les vignerons indépendants participent de la grande réputation de nos vins » (Marine Le Pen, 2017), « Des mots savants peuvent aussi participer de la composition de nouveaux mots » (CRPE - Concours professeur des écoles, 2020), « Élevées pour leur viande, les [vaches] Highland participent de l'équilibre de la ferme bio » (Ouest-France, 2022), « Cette comédie participe de l'âge d'or du comédien » (Le Parisien, 2022). Convenons que l'on est loin des exemples types proposés par le site La Grammaire de Forator : « Un individu participe d'un type général ; un sentiment particulier participe d'un état d'esprit, d'une attitude commune ; une activité participe d'un principe ; une chose participe d'un concept, d'une idée ; etc. »
À force d'être mal défini et donc mal compris (à moins que ce ne soit l'inverse), participer de est devenu un équivalent savant − pour ne pas dire snob − tantôt de participer à (pris le plus souvent au sens de « jouer un rôle dans, contribuer à »), tantôt de faire partie de, tantôt de je ne sais quoi encore. D'aucuns feront mine de s'accommoder de cette ambiguïté : « Il semble sage de ne pas attacher trop d'importance à la double construction du verbe participer tel que nous l'employons de nos jours » (Marie-Dominique Philippe, L'Être, 1972). D'autres, épris de clarté et de précision, se feront un devoir de répéter, avec Grevisse (9), que l'alternance entre à et de après participer est moins une affaire de style que de sémantique.
 

(1) Cette distinction est observée dans la première édition (1694) du Dictionnaire de l'Académie (par exemple, aux articles « abricot », « bulbe », « dieu », etc.), mais ne sera mentionnée à l'article « participer » que dans les éditions suivantes (1718-2011).

(2) Nicolas Andry de Boisregard répond ici à une critique formulée par César Vichard de Saint-Réal dans De la critique (1691) : « Je vous demande s'il n'est pas mieux de dire participer à une chose que participer d'une chose. "Un mot, dit [Andry de Boisregard], participe de l'infamie de la chose infame qu'il signifie, lorsqu'il expose cette chose plutost comme plaisante que comme criminelle". »

(3) Tenir de s'entend ici au sens de « offrir une ressemblance, avoir un rapport avec » : Cette architecture tient du gothique. Ce style tient un peu du burlesque. Cet évènement tient du prodige. Le mulet tient de l'âne et du cheval. Participer de suppose toutefois un rapport plus intime, plus essentiel que tenir de : « Une chose participe d'une autre quand elle en tient relativement à ses qualités constitutives, quand elle a avec elle, non pas un rapport accidentel ou de fait, mais un rapport fondamental ou de nature » (Benjamin Lafaye, 1858). De là la variante (redondante) participer de la nature de.

(4) Que l'on songe à l'opposition tenir à / tenir de, procéder à / procéder de, etc.

(5) Emprunté du latin participare (« faire participer ; partager, répartir ; avoir sa part »), le verbe participer est attesté en philosophie bien avant le XVIe siècle, mais dans diverses constructions (avec à, avec, de, en) dont il n'est pas toujours aisé de saisir les nuances sémantiques : « Ame d'ome participe a toutes creatures » (Raymond Lulle, vers 1280 ; participer à y aurait le sens de « avoir des traits communs avec » selon le TLFi, « faire partie de » selon le Dictionnaire du moyen français, « être répandu dans » selon le Grand Larousse − qui dit mieux ?) ; « [Le goust] participe a touchement », « Ceste puissance ou partie d'ame participe aveques raison », « Car ilz ne communiquent ou participent en rien de speculacion », « Mais par aucune similitude, ilz participent en vertus morales » (Nicole Oresme traduisant Aristote, vers 1370).

(6) Exemples conformes à la distinction moderne : « Beau nez [...] duquel la couleur richement participe Du rouge et violet » (Olivier Basselin, avant 1470), « La particule du [...] semble participer de la nature de la preposition et de l'article » (Henri Estienne, 1565), « Le pathétique participe du sublime autant que le sublime participe du beau et de l'agréable » (Boileau, 1674), « Les pierres [dont on tire l'alun] participent de la nature du plomb » (Moyse Charas, 1676), « On appelle couleurs obscures celles qui ne refleschissent que peu de lumière, qui participent du noir » (Dictionnaire de Furetière, 1690), « Demi-dieu. Celuy qui participe de la nature de l'homme et de celle des dieux. Un homme qui semble participer en quelque sorte de la Divinité par la grandeur de ses actions » (Dictionnaire de l'Académie, 1694), « Participer du même sang qu'un autre » (Joseph Joubert, 1710), « Le mulet participe de la nature du cheval et de celle de l’ânesse » (Buffon, 1749), « Une erreur qui participe de la folie » (Pierre de Fournelle, 1772), « La sagesse [...] participe de l'intelligence qui voit et de la science qui démontre » (Jean-Jacques Barthélemy, 1788), « Des aurores boréales différentes, qui participent des couleurs de la terre ou des mers qui les avoisinent » (Bernardin de Saint-Pierre, 1814), « On a donné le nom de participe au mot qui participe de la nature du verbe et de celle de l'adjectif » (Émile Lefranc, 1826), « Cet enfant participe des défauts de son père » (Petite Grammaire des grammaires, 1832), « L'amour participe de l'âme même. Il est de même nature qu'elle » (Victor Hugo, 1862).

(7) Autres exemples de participer à avec un sujet de chose, empruntés à la dernière édition du Dictionnaire de l'Académie : « Ensemble d'organes, d'éléments qui [...] participent à une même fonction » (article « appareil »), « Acide aminé [...] qui peut participer à la synthèse du glucose » (article « proline »), « Le sang assure le transport des gaz, des substances nutritives et des éléments qui participent à la défense de l'organisme » (article « sang »), etc.

(8) De même : « L'expression avoir part à, qui peut encore se dire participer de, a un sens passif » (Pierre Viau, Participation, mythe ou nécessité, 1965), « Construit avec à, ce verbe [participer] dénote la coopération active du sujet avec d'autres. Participer de, en revanche, [...] suggère que les événements qui arrivent au sujet l'affectent dans ce qu'il est » (Philippe Eberhard, Comprendre c'est être compris, croire aussi, 2005).

(9) « Il importe de bien choisir la préposition pour introduire correctement le complément. Dans certains cas, il y a lieu de tenir compte de l'aspect sémantique de l'expression : participer de, par exemple, a un tout autre sens que participer à. Dans nombre d'autres cas [continuer, obliger], c'est simple affaire de style ou respect de l'usage » (Quelle préposition ?, 1977).

Remarque : Participer s'emploie absolument (sans complément) au sens de « prendre part à la vie, aux activités d'un groupe » : Cet élève ne participe pas assez en classe

 

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B
Merci pour ces apports et commentaires très circonstanciés !<br /> J'avais collecté quelques reluisantes occurrences du globibulga "participer de/à"  mais je vois que votre stock est suffisamment fourni !<br /> Ce qui me gênait, surtout, d'ailleurs, dans cette mode, ce n'est pas tant l'éventuelle évolution de notre langue que le bonheur dont font montre les imbéciles à endosser les nouvelles modes.<br /> Ceci étant, pour être honnête, vous démontrez très bien que les expressions "participer à/de" n'ont jamais été figées, ce qui pourrait constituer une circonstance atténuante à leur mauvais usage, même si très peu de globibulguistes (appelons-les comme cela) peuvent être suspectés de participer de la connaissance dont vous faites état ! (emploi risqué, allons-y gaiement !, mais non garanti ). En vous remerciant encore,<br /> Bernuchon
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