« Effectivement, on voit une frénation de l'augmentation [du nombre de malades hospitalisés]. »
(Olivier Véran, photo ci-contre, sur BFM TV, le 7 avril 2020.)
Ce que j'en pense
J'entends d'ici les moquations des mauvaises langues : « C'est avec une certaine gravitude que le ministre de la Santé a répondu, ce matin, aux questions d'un Jean-Jacques Bourdin plus déstabilisateur que jamais. Certes, a-t-il expliqué en substance, d'un ton ferme mais exempt de toute méprisance, on assiste depuis quelques jours à une frénation de l'aggravation de l'épidémie, mais il est encore trop tôt pour parler de déconfination, pardon de déconfinement. » Eh bien, renseignements pris, les esprits railleurs en seront pour leurs frais. Car, aussi surprenant que cela puisse paraître, ledit frénation (1) est bel et bien attesté dans notre lexique !
À en croire les spécialistes de la langue que sont le TLFi, le Grand Robert et le Grand Larousse, le mot ressortit à la médecine − cela explique sans doute pourquoi on le trouve dans la bouche du ministre-neurologue Véran − et désigne l'action de ralentir une sécrétion de l'organisme : « On a vu se développer les vrais accidents épileptiformes [...] avec frénation incomplète » (Albert Charrin, 1897), « La notion de frénation a pris une grande importance dans la thérapeutique hormonale de ces dernières années » (André Galli et Robert Leluc, 1961). Aucun rapport avec l'affaire qui nous occupe, pensez-vous ? Voire. Car frénation se rencontre à l'occasion (dans le domaine de la psychologie, notamment) avec le sens général hérité du bas-latin frenatio « action de modérer » (2) : « Quelles que soient les causes secondes qui jouent le rôle de frein, cette frénation [de la natalité] est très certaine » (Marcel Réja, 1902), « Un défaut de frénation verbale » (Henri Wallon, 1912), « Sans la frénation (mettre un frein) de son instinct de propriété, tout être humain serait un voleur » (Raymond Genest, 1964). Est-ce à dire que cet emploi se justifie dans la phrase du ministre ? Le doute est permis... J'avoue pour ma part qu'il ne me viendrait pas à l'idée, quoi qu'il en soit, d'user d'un terme aussi didactique dans une émission destinée au grand public.
De son côté, le directeur de la Santé, Jérôme Salomon, parle plus prosaïquement d'une (lente) « diminution de l'augmentation du nombre de patients admis en réanimation » − sorte d'oxymore que l'on pourrait traduire par « il y a un ralentissement de la dynamique de l'épidémie » (selon Tristan Vey, dans Le Figaro) ou, pour les plus matheux d'entre nous, « la dérivée seconde du nombre de cas cumulés est négative ». Je vous sens perplexe... Un simple freinage ne pouvait-il faire l'affaire ? Après tout, le Dictionnaire de l'Académie mentionne bien un emploi figuré : « Le freinage du développement de l'activité économique. » Et c'est là que les choses se compliquent. Ne lit-on pas dans un bulletin de l'Académie nationale de médecine, paru en 1986 : « Freinage, nom masculin. Action de ralentissement d'une fonction. L'orthographe frénage est incorrecte. Anglais : freination » ? Vous, je ne sais pas, mais moi, devant pareille cacophonation, je crois que je vais aller ronger mon frein ailleurs...
(1) Selon Édouard Pichon, la variante freination − également attestée sous l'influence de la graphie freiner − présente l'inconvénient de combiner un radical authentiquement français avec un suffixe savant (d'origine latine).
(2) Frenatio est lui-même issu de frenatum, supin de frenare (« mettre un mors, brider, modérer, retenir »), à l'origine du verbe freiner.
Ce qu'il conviendrait de dire
On voit un ralentissement de l'augmentation du nombre de malades ou Le nombre de nouveaux cas décroît.