« Les bonnets rouges − dont il convient de rappeler qu'ils ne représentent pas l'ensemble du mouvement régionaliste breton − sont donc tout à fait en phase avec ce mélange d'aspirations identitaires et d'intérêts pécuniers [...]. »
(Vincent Laborderie, sur lefigaro.fr, le 22 avril 2014)
Ce que j'en pense
Loin de moi l'intention de ressusciter le bonnet d'âne, mais voilà un dérapage qui mériterait un carton rouge aux yeux de plus d'un grammairien. C'est que notre spécialiste en science politique semble ignorer que la seule forme enregistrée dans les ouvrages de référence est pécuniaire, au masculin comme au féminin : des embarras financiers, des difficultés financières mais des embarras pécuniaires, des difficultés pécuniaires. Lui viendrait-il à l'idée, je vous le demande, de parler du trafic ferrovier, du personnel auxilier, du secteur tertier, du système judicier ou d'un contrat fiducier ?
Mais voilà : pécunier tend à prendre la place de son compagnon d'infortune (selon le propre constat de Gide), notamment en Belgique d'où est originaire l'auteur de l'article qui nous occupe. De pécuniaire, qui a pu être interprété à l'oral comme une forme féminine par confusion avec le suffixe -ière, la langue populaire aura tiré un masculin pécunier « qui est une faute, eu égard à l'étymologie », selon Thomas − de fait, notre adjectif, qui signifie « qui a rapport à l'argent ; qui consiste en argent », est emprunté du latin pecuniarius, dérivé de pecunia (« possessions en bétail », puis « richesse, fortune », et par extension « argent, monnaie »). Est-ce pour autant un authentique barbarisme, comme l'affirment en chœur Girodet, Capelovici, Dupré, Georgin et quelques autres gros bonnets de la langue ? Voire.
C'est qu'un même mot latin en -aris, -arius a pu donner naissance, en français, à deux formes, l'une populaire en -ier, l'autre savante en -aire : que l'on songe aux doublets banquier et bancaire, écolier et scolaire, héritier et héréditaire, etc. « Si pécuniaire évoluait en pécunier, ière, il ne ferait que suivre la même voie que mobiliaire et immobiliaire, formes aujourd'hui évincées par celles en ier, ière », faisait remarquer à bon droit G.-O. d'Harvé, il y a près d'un siècle. Voilà sans doute pourquoi Littré se montrait si magnanime envers cette variante orthographique : « Pécuniaire. On dit quelquefois pécunier » − quitte à déstabiliser tous ceux qui continuent de prendre pour argent comptant la mise en garde de l'Académie : « L'adjectif pécunier n'existe pas » ! Il faut bien reconnaître que le bougre ne manque pas de références prestigieuses : « la chose pécunière » (D'Aubigné), « quelques faibles services pécuniers » (Beaumarchais), « nos intérêts pécuniers » (Chateaubriand), « des indemnités pécunières » (Stendhal), « sans grand dommage pécunier » (Giono). Pécunier n'en demeure pas moins − pour combien de temps encore ? − une incorrection, car « la forme française usuelle reste pécuniaire » (Grevisse).
Remarque : Du latin pecuniosus sont dérivés les adjectifs pécunieux (« qui a beaucoup d'argent »), dont l’emploi est souvent présenté comme vieilli, et son antonyme, impécunieux (« qui manque d’argent »).
Voir également le billet Pénitentiaire.
Ce qu'il conviendrait de dire
Un mélange d'aspirations identitaires et d'intérêts pécuniaires.