L'emploi du subjonctif dans ces expressions est assurément déroutant.
Utilisée soit en incise, soit en tête ou en fin de phrase, la locution que je sache est une proposition relative, qui correspond au latin quod sciam autrefois utilisé dans les phrases affirmatives ou négatives avec le sens de « à ma connaissance ». Ledit que est assimilable à un pronom relatif de liaison, dont l'antécédent serait l'idée portée par la principale, à l'instar du tour figé dont acte qui signifie « ce dont je vous donne acte ». Voilà pourquoi il me semble vicieux de vouloir justifier le recours au subjonctif sous le prétexte que la locution que je sache serait une ellipse de autant que je (le) sache : satisfaisant du point de vue du sens, ce raccourci favorise la confusion entre que conjonction et que pronom relatif.
L'explication est ailleurs : selon l'Académie, le subjonctif présent à la première personne du singulier exprime une affirmation atténuée, une restriction qui indique par litote que l'on n'est pas absolument sûr de ce que l'on avance. Aussi remplace-t-il avantageusement, dans la langue soignée, un indicatif dont la valeur affirmative serait trop nette.
Il n'est pas sourd, que je sache ! (= à ma connaissance ; dans la mesure où je sais cela, où je peux en juger).
Est-il venu quelqu'un ? Non pas que je sache.
On notera que ce tour est généralement réservé aux phrases négatives, propres à introduire une nuance de doute (parfois d'ironie) mais, en souvenir de l'usage latin, certains spécialistes (dont Hanse) admettent son emploi dans des phrases affirmatives (« mais impliquant généralement une idée de restriction, d'exclusion », selon Grevisse) voire interrogatives. De même, l'utilisation à une autre personne que la première du singulier est discutée. Littré note toutefois : « Est-il venu quelqu'un, que vous sachiez, que tu saches ? ».
Moins courant – et plus étonnant, dans la mesure où il est rare, en français, de rencontrer le subjonctif dans une principale –, le tour je ne sache pas (ou point) que vient sans doute de que je sache. Ainsi la phrase de Marivaux : « Je ne sache pas que vous ayez rien à vous reprocher » (notez le double emploi du subjonctif) correspond à vous n'avez rien à vous reprocher, que je sache, après que l'on a fait passer je sache dans la proposition principale, accompagné de la négation. Dans les deux cas, l'énoncé vous n'avez rien à vous reprocher est atténué par le recours au mode dubitatif (1).
Si l'on trouve quelques exemples de ce tour à d'autres personnes que la première du singulier – car il est courant d'employer on ou nous à la place de je –, on évitera la graphie trompeuse et « difficilement défendable » (dixit Goosse [2]) nous ne sachons pas que (pour nous ne sachions pas que) − fût-elle attestée sous quelques bonnes plumes : « Nous ne sachons pas qu'on ait fait des mots nouveaux » (Victor Hugo, 1834), « Nous ne sachons pas qu'on ait jamais employé engloutir figurément » (Louis-Nicolas Bescherelle, 1845).
Signalons, enfin, les constructions avec rien, personne : Je ne sache rien de si beau, je ne sache personne qui soit plus serviable que cet homme et avec l'infinitif : Je ne sache pas avoir vu plus beau paysage de ma vie.
(1) Grevisse apporte la précision suivante : « À supposer qu'on puisse dire : "Je ne sais pas que telle chose se passe", on dirait quelque chose d'étrange, car tout en affirmant qu'une chose se passe, on déclarerait ignorer qu'elle se passe ! C'est pourquoi à l'indicatif "je ne sais pas" on substitue le subjonctif "je ne sache pas" : ainsi on ne déclare pas ignorer que la chose se passe, on marque seulement qu'on ne croit pas qu'elle se passe » (Problèmes de langage, 1962).
(2) Grevisse se montre plus prudent : « Anciennement, pour les deux premières personnes du pluriel du subjonctif présent, à côté de que nous sachions, que vous sachiez, on avait que nous sachons, que vous sachez : Car on y trouve des nations n'ayans, que nous sachons, ouy nouvelles de nous (Montaigne). Quand vous voyez une riche et pompeuse demeure, encore que vous ne sçachez qui en est le maistre [...] (Id.) » (Le Bon Usage, 1980).
Remarque 1 : Les spécialistes de la langue ne nous aident pas toujours à y voir clair. Prenez cette définition du TLFi : « Je ne sache pas que + subj. ou inf. Je suis certain que. » Voilà qui donne à croire que la phrase Je ne sache pas que Tite-Live ait écrit des vers correspond à Je suis certain que Tite-Live a écrit des vers ! Non, rétorque Girodet, le sens est bien plutôt : « À ma connaissance, Tite-Live n'a pas écrit de vers. » Hanse confirme : « On atténue la déclaration négative [Tite-Live n'a pas écrit de vers] en faisant passer la négation dans la proposition principale et en faisant suivre celle-ci du subjonctif, puisque le fait est l'objet d'un doute, d'une restriction. Tour utile, moins catégorique que [Il n'a pas écrit de vers] et qui dit plus que si on employait si [Je ne sais pas s'il a écrit des vers]. »
Remarque 2 : L'académicien André Frossard aurait écrit : « Vous dites : "Je ne sache pas." Le verbe sacher n'existe pas en français, que je sache. On ne peut pas tous sacher. Ni Littré, ni l'Académie, ni Anatole France, ni Mauriac, par exemple, n'ont jamais sachu ce que vous me faites sachoir. » Bel exemple de mauvaise foi, quand on sait que Littré mentionna ladite locution en ces termes : « On peut conjecturer que ceux qui les premiers l'ont employée ont sous-entendu : j'ose dire, l'usage étant au XVIe siècle de mettre le subjonctif avec dire, quand l'affirmation n'était pas absolue. »
Au demeurant, l'emploi de je (ne) sache dans une principale est attesté de plus longue date : « Je ne say pour quoy vous le dites, Mais je ne sache seens dame Pour quy [...] » (Miracle de l'abbeesse grosse, 1340), « Je ne saiche si dur esprit Qui le fist » (La Resolucion d'Amours, vers 1480), « Je ne sçaiche chose qui me doibve empescher [...] » (Marguerite de Navarre, 1559), « Je ne sçache point meilleure escolle » (Montaigne, 1588), « Je ne sçache point d'autheurs qui ayent resolu precisément cette question » (Pierre Guillebaud, 1642).
Remarque 3 : La variante à ce que je sache − croisement de que je sache et de à ce que je crois ? − est dénoncée par Féraud : « Un auteur moderne a dit, par distraction, sans doute, à ce que je sache » (Dictionnaire grammatical, 1768), mais admise par Littré : « On dit de même : que je sache, à ce que je sache » (Dictionnaire, 1869).
Subtilités
Mes parents exigent que je sache mes leçons avant de sortir jouer (emploi régulier du subjonctif dans une subordonnée complétive en que, complément d'un verbe marquant un ordre).