Voilà un mot sur le genre duquel on a tôt fait de perdre son latin, puisque celui-ci présente la singularité de varier selon le contexte... jusqu'à présenter les deux statuts (masculin et féminin) dans la même phrase !
Son étymologie latine – justement – le suppose féminin [gens, gentis qui a donné l'ancien nom féminin gent signifiant « espèce » (la gent féminine) et dont gens n'est autre que le pluriel] mais l'idée qu'il exprime est celle de l'homme en général, donc du genre masculin. Pour Paul Dupré, « gens est lexicalement féminin, mais syntaxiquement masculin ». Bref, un cas d'« ambivalence grammaticale », genre chevalier d'Éon des Lettres, qui nous vaut l'une des règles les plus arbitraires, les plus fantaisistes et les plus déconcertantes de la langue française. Jugez-en plutôt :
Pour simplifier (si tant est que cela soit possible), gens est masculin sauf quand il est immédiatement précédé d'un adjectif (ou d'un participe passé) à forme féminine distincte (l'accord au féminin n'étant pas étendu aux autres éléments de la phrase, sauf pour les adjectifs tout et quel).
Et encore, il faut que gens n'ait pas de complément du nom (désignant une qualité, une profession, un état). Toute une histoire, vous dis-je ! De quoi définitivement lui préférer hommes ou personnes, d'un genre moins capricieux.
Ce sont des gens mal intentionnés (l'adjectif est après le nom → le masculin l'emporte) mais Ce sont de bonnes gens, de petites gens, de vraies gens.
De sottes gens mais Des gens sots.
De bons et braves gens mais De braves et bonnes gens (c'est l'adjectif placé immédiatement avant gens qui commande son genre).
Quels braves gens, quels jeunes gens (brave, jeune sont des adjectifs des deux genres → le masculin l'emporte) mais Quelles gens avez-vous invités ? (si absurde que cela puisse paraître !).
Tous les gens sensés, tous les honnêtes gens, tous ces gens-là mais Toutes les vieilles gens (tous reste au masculin, sauf si gens est immédiatement précédé d'un adjectif à forme féminine distincte ou si gens est suivi d'un mot déterminatif).
Rendre heureux les gens que l'on aime ! (l'article les sépare heureux de gens → le masculin l'emporte).
Il y avait de nombreux gens d'Église (gens a un complément du nom → le masculin l'emporte).
Délaissés par leurs familles, les vieilles gens sont souvent méfiants.
Qu’est-ce qu’ils diraient, toutes ces bonnes gens ? (Hanse) [le pronom personnel reste au masculin dans tous les cas].
Quels qu'ils soient, inutile d'accorder de l'importance à ces gens.
Il y a certaines gens qui sont bien sots (Littré) mais Certains de ces gens.
Remarque 1 : Gens est toujours au masculin pluriel au sens ancien de « domestiques, serviteurs » ou de « partisans ».
Remarque 2 : De même, jeunes gens est toujours masculin et s'emploie souvent comme pluriel de jeune homme.
Remarque 3 : On se gardera de faire la confusion entre l'ancien nom féminin gent (sans e final et prononcé jen) de la gent féminine et l'adjectif gent (« noble, bien né », puis « gentil, plaisant ») de gente dame.
Remarque 4 : On notera que l'ambivalence du mot gens n'est pas sans rappeler quelques autres casse-tête du genre : Cette petite crapule de Jimmy finira bien par être pris(e) !