« Nicolas Sarkozy m'a toujours témoigné de son soutien. »
(Virginie Calmels, dans Le Point no 2393, juillet 2018)
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Ce que j'en pense
Il faut croire − je prends Hanse à témoin − que l'« on ne dit pas : Il leur a témoigné de sa reconnaissance, mais Il leur a témoigné sa reconnaissance ». En effet, c'est quand il est employé au sens de « porter témoignage, être témoin de » (le plus souvent avec un nom d'animé pour sujet) ou de « être la preuve, le signe de » (avec un nom de chose) que le verbe témoigner se construit, nous dit-on, avec la préposition de : « Je témoignerai de son innocence, de sa probité, de sa bonne foi » (Académie), « Ces chefs-d'œuvre témoignent de la vitalité de l'art français » (Girodet), « Il est courageux, sa conduite en témoigne » (Robert), « Le tranquille courage dont témoignait l’ampleur de son génie créateur » (Jacques Rueff), « Ses œuvres témoigneront de ce qu'il fut » (Albert Camus). Rien à voir, vous en conviendrez, avec la phrase qui nous occupe, où il est bien plutôt question de montrer, de manifester « ce qu'on sait, ce qu'on sent, ce qu'on a dans la pensée » (huitième édition du Dictionnaire de l'Académie). Dans ce sens, témoigner est transitif direct et se passe donc des services de la préposition de. Témoin ces exemples relevés sous des plumes expertes : « Témoigner sa tendresse à quelqu'un » (Larousse), « Je vous ai assez témoigné quelle était ma pensée là-dessus » (Académie), « L'amitié qu'il m'a toujours témoignée » (Bescherelle).
L'ennui, c'est que derrière l'apparente simplicité de cette répartition d'emploi se cache une réalité autrement complexe. Que peut bien justifier, par exemple, la présence de la préposition de dans les exemples suivants (où les sujets sont des noms d'animés) : « Le petit chat était fourré sous la couverture et témoignait par son ronron de la jouissance qu'il éprouvait à se sentir hors des atteintes du froid » (Champfleury), « La sincère épouvante dont il témoignait » (Henri de Régnier), « Renée allait, incertaine, déjà détachée, et témoignant d'une modestie indifférente » (Colette), « [Il] témoignait [...], dans le choix de ses serviteurs, d'un optimisme absurde » (Georges Bernanos) ? « Par extension. Manifester », s'empresse d'ajouter Robert, en guise de réponse, à la liste des acceptions de la construction indirecte (1). À l'inverse, comment expliquer ces exemples de témoigner sans de avec un nom de chose pour sujet : « Cette position [aux échecs] témoigne chez l'adversaire une si grande maladresse qu'on le regarde comme ayant perdu la partie » (Littré, à l'article « pat »), « Se dit de ce qui témoigne un manque d'honnêteté » (Grand Larousse, à l'article « indélicat »), « Il lui avait effleuré le bras, comme le témoignait une rougeur subite à la manche » (Théophile Gautier), « Pareille question, qui témoigne une sollicitude peu compétente, mais pleine de bonne volonté » (Abel Hermant), « Merci de votre lettre : l'empressement d'y répondre vous témoigne le plaisir que j'en ai » (Gide) ? (2) Réponse embarrassée des experts-témoins : l'emploi transitif direct au sens de « être la preuve, le signe de » est « vieilli » (selon Robert), « littéraire » (selon Larousse) ; de nos jours, renchérit Hanse, « on dit beaucoup plus souvent témoigner de... ».
Ajoutez à cela que l'article partitif peut donner l'illusion de la préposition de dans certains emplois transitifs directs (témoigner de l'estime, du mépris, de la haine...), que la construction témoigner que est attestée dans les différentes acceptions du verbe (3), et vous aurez compris que toutes les conditions sont réunies pour entretenir la confusion dans les esprits. De là le réquisitoire de Renaud Camus dans son Répertoire des délicatesses du français contemporain (2000) : « La plupart des grammairiens et lexicographes posent comme un fait acquis qu'il existe une différence de sens entre témoigner et témoigner de… Mais ils sont bien en peine de l'expliquer nettement, et de se mettre d'accord sur ce qu'elle est vraiment. » C'est peu de le dire ! Georges Bernard, toutefois, propose une analyse intéressante dans le cas où le sujet est un être animé : quand le témoignage porte sur autrui, observe-t-il, on emploie témoigner de : Je témoigne de son innocence ; « quand le témoignage porte sur soi-même, on hésite entre "il a témoigné sa/de sa bonne foi", mais il suffit qu'un complément introduit par à, explicite ou non, s'insère, pour que la construction directe soit la seule possible : Il nous a témoigné un certain intérêt » (La Transitivité du verbe en français contemporain, 1972). Reste à savoir si les académiciens appelleront ce linguiste à la barre lors de la rédaction de l'article « témoigner » de la neuvième édition de leur Dictionnaire...
(1) Voilà sans doute pourquoi on peut lire sur le site Internet de l'Académie : « Henri de Régnier témoigna d'un égal talent de conteur et de romancier », « [Cocteau] témoigna dans son écriture d'une égale curiosité », alors que Dupré maintient la distinction entre Cet écrivain témoigne [= manifeste] un grand talent dans son roman (tour que Hanse qualifie de « vieilli ») et Ce roman témoigne [= est le signe] d'un grand talent. Gageons que cette extension de sens (?), qui n'est pas mentionnée à l'article « témoigner » de la huitième édition du Dictionnaire de l'Académie, figurera en bonne place dans la neuvième.
(2) Bien qu'ayant pour sujets des noms abstraits, les cas suivants me paraissent différents, dans la mesure où ils peuvent être rattachés, par métonymie, à l'emploi transitif direct de témoigner au sens de « manifester » : « Un jeune homme dont [...] le visage témoignait l'assurance » (Lamartine), « Son attitude témoigne une grande humilité » (Grand Larousse), « Votre attitude témoigne un sens profond du sacrifice » (Jean-Paul Jauneau).
(3) D'après Irène Kalinowska (La Préposition, 2018), « les propositions conjonctives s'introduisent normalement sans préposition » dans toutes les acceptions de témoigner : Il a témoigné qu'il avait vu l'accusé (dans cet exemple, que Hanse rattache au sens intransitif du verbe [« rapporter ce qu'on sait, notamment en justice »], témoigner signifie selon Larousse et Robert « attester, certifier », acception que Hanse et Thomas rattachent pour leur part... à son emploi transitif indirect. Comprenne qui pourra !), « Nous témoignons [= portons témoignage] à tous et devant tous que le bonheur est possible » (Sartre), « Le beau témoigne [= est la preuve] que la nature nous est amie » (Alain), « Elle désirait témoigner [= montrer, manifester] au prochain, de si pauvre ou de si humble extraction fût-il, qu'elle ne le méprisait pas » (Proust). Goosse observe toutefois que, « témoigner de quelque chose [étant] plus fréquent aujourd'hui que témoigner quelque chose, on comprend que témoigner que soit concurrencé par témoigner de ce que » dans les acceptions transitives indirectes du verbe : « Témoigner de ce que l'auparavant surclassait l'ensuite » (Hervé Bazin), « Ce plan témoigne de ce que les concepts renvoient eux-mêmes à une compréhension non conceptuelle » (Alain Badiou), « Une minuscule cheminée [...] témoignait de ce que des bergers passaient là parfois de longues périodes avec leurs bêtes » (Louis-Olivier Vitté), « La dureté de son visage témoignait de ce que son inconscience épouvantable s'était finalement retournée contre lui » (Laurence Nobécourt).
Remarque 1 : Le verbe témoigner est dérivé de témoin, lui-même emprunté du latin testimonium (« témoignage, déposition, attestation, preuve ; témoin »).
Remarque 2 : Comme si cela ne suffisait pas, la commission du Dictionnaire de l'Académie vient ajouter à la confusion en écrivant (en 2017) : « Le verbe témoigner peut se construire avec un complément d'objet direct (témoigner son amitié) ou avec un complément d'objet indirect (ses toiles témoignent de son grand talent). Dans le premier cas, témoigner signifie "manifester, exprimer", dans le second cas, témoigner de signifie "être la preuve, le signe de". On pourra donc écrire : "Je vous remercie de la confiance que vous m’avez témoignée", ou bien : "Je vous remercie de la confiance dont vous avez témoigné envers moi". » Sauf que, si dans la confiance que vous m'avez témoignée le sens est bien celui de « manifester, exprimer », il y a erreur, me semble-t-il, sur la signification du verbe dans la confiance dont vous avez témoigné envers moi : témoigner de ne peut avoir ici pour acception que « porter témoignage de », pas « être la preuve, le signe de » ; les deux formulations n'ont donc pas strictement le même sens. On lit dans un autre article (paru cette fois en 2014) : « Témoigner sa reconnaissance signifie "exprimer, manifester, faire connaître sa reconnaissance" (le sujet est un être animé). Témoigner de sa reconnaissance signifie "se porter garant de sa reconnaissance" (le sujet est un être animé), "être la preuve manifeste de sa reconnaissance" (le sujet est une chose). » Encore conviendrait-il de préciser que, dans le cas où le sujet est un être animé, le possessif sa recouvre deux réalités différentes : on témoigne (= exprime, manifeste) sa propre reconnaissance, mais on témoigne (= porte témoignage, se porte garant) de la reconnaissance d'autrui.
Mentionnons enfin cette inconséquence relevée chez René Georgin : « Il faut dire, sans article partitif ni préposition : témoigner un grand zèle, les plus belles qualités d'écrivain » (Pour un meilleur français, 1951), puis « Faire des yeux de crapaud mourant d'amour (témoigner d'une sentimentalité excessive) » (Jeux de mots, 1957). Un avocat n'y retrouverait pas ses témoins...
Remarque 3 : Selon Hanse, témoigner au sens transitif direct de « montrer, manifester » (« marquer, faire connaître ce qu'on sait, ce qu'on sent, ce qu'on a dans la pensée », écrivait l'Académie dans la sixième édition de son Dictionnaire) inclut l'idée de « marques » ; partant, on ne témoignera pas des marques de sympathie. Afin d'éviter toute redondance, mieux vaut écrire : « Touchés des marques de sympathie que vous leur avez données » ou « Touchés de la sympathie que vous leur avez témoignée ».
Remarque 4 : Voir également les billets Attester et De ce que.
Ce qu'il conviendrait de dire
Il m'a toujours témoigné son soutien.