« J'étais étudiant à Bordeaux, j'allais présenter l'agrégation de lettres. »
(François Bayrou, dans son livre Relève, publié chez Grasset)
(photo wikipédia sous licence GFDL par Antonin Borgeaud)
Ce que j'en pense
L'Académie, sous la rubrique Dire, ne pas dire de son site Internet, est pourtant catégorique : « On peut très bien dire présenter une thèse parce que l’on expose cette thèse à un jury, mais présenter un examen est incorrect : le candidat, en effet, n’expose pas un examen, mais s’y soumet. On doit donc dire se présenter à un examen ou passer un examen. » (1) Las ! rien n'y fait. Malgré les mises en garde répétées contre l'emploi de présenter un examen (un concours, le baccalauréat...) pour se présenter à un examen, le tour critiqué se répand, depuis début du XXe siècle, jusque sous des plumes universitaires : « Les examens présentés en fin d'études ont été au nombre de 767 » (Rapport de l'université de Toulouse, 1904), « Dans l'enseignement supérieur, il est permis de présenter une épreuve supplémentaire sur une même matière » (Rapport triennal sur l'état de l'enseignement en Belgique, 1913), « Pour les bénéficiaires qui présentent une épreuve devant un jury » (Bulletin usuel des lois, 1947), « Les examens de fin d'études sont présentés en espagnol » (Jean Caudmont, cité par Grevisse, 1968), « C'est au terme de la quatrième année que les élèves sont autorisés à présenter cet examen » (André Chervel, 1999), « Il n'était pas à niveau pour présenter le bac l'année suivante » (Françoise Giroud, 2001), « Il a même refusé de présenter le bac » (Jérôme Garcin, 2011), « Il va présenter l'agrégation de philosophie en 1868 et être reçu deuxième » (Vincent Peillon, 2011), « Il devait présenter un examen à la fac aujourd'hui » (Vincent Engel, 2015), « Le 16 août 1861, elle présente le baccalauréat en lettres » (Jean-Louis Debré, 2017). Le fait que le diplôme soit souvent confondu (par métonymie ou par ellipse de examen) avec l'examen lui-même n'est sans doute pas étranger à ce phénomène. Observez, à ce propos, le glissement sémantique qui s'est opéré entre ces deux phrases : « Pour être admis à subir [et non pas présenter] le premier examen en médecine, les étudiants sont tenus de présenter le diplôme de bachelier ès lettres [= montrer l'attestation délivrée] » (Recueil des lois et règlements sur l'enseignement supérieur, 1880) et « Les étudiants doivent présenter le baccalauréat classique Lettres-Philosophie » (Revue internationale de l'enseignement, 1899), à la formulation autrement ambiguë.
Si la combinaison présenter un examen est unanimement condamnée par les spécialistes de la langue (2), il en est une autre qui semble désormais reçue par l'usage : réussir un examen. Sa syntaxe ne manque pourtant pas de surprendre. Car enfin, il n'aura échappé à personne que le verbe réussir, quand il ne serait plus abonné à la seule construction intransitive depuis belle lurette (3), n'a pas le même sens selon qu'il est question d'un examen, d'un concours, d'un test... ou d'un tableau, d'un roman, d'un plat, d'un tour, d'un exploit, d'un projet, d'un travail, voire de sa vie. Dans le premier cas, il signifie « passer (une épreuve) avec succès », dans le second, « faire, exécuter (quelque chose de concret), mener (quelque chose d'abstrait) avec succès ». « Dans ces conditions, observe la linguiste Danielle Leeman-Bouix, il existe des arguments linguistiques permettant à la fois de justifier que l'Académie admette un plat bien réussi (4) et que Abel Hermant préconise la construction réussir à avec le nom examen (5) » (Les fautes de français, existent-elles ?, 1994). Grevisse en avance un supplémentaire : « Réussir un examen est critiqué pour une autre raison : c'est le professeur qui examine, et non le candidat. » Autrement dit, tout dépend du point de vue où l'on se place : celui qui réussit un examen est, à proprement parler, le professeur qui a su évaluer avec efficacité les aptitudes du candidat ; en parlant de ce dernier, conclut l'auteur du Bon Usage, « il serait plus logique de dire réussir à un examen mais examen a relâché son lien avec examiner ». Toujours est-il que le tour transitif direct, quand il serait encore mis en examen par quelques esprits tatillons, est attesté jusque dans la langue soignée : « Grâce à sa très bonne mémoire, il réussit ses examens » (Simone de Beauvoir), « Il ne pouvait croire encore qu’il avait réussi son examen de sortie » (Henri Troyat), « Je réussis mes examens » (Paul Vialar), « Il avait réussi son examen » (Henry de Montherlant), à côté de « Je priais [...] pour que papa réussisse à son examen » (Georges Duhamel), « Il fallait [...] bien réussir aux examens » (Marcel Aymé), « Je me rendis dans cette ville pour un examen. J'y réussis assez brillamment » (Henri Bosco), « La nécessité de réussir à ses examens » (Pierre-Henri Simon).
L'embarras de l'Académie sur ce sujet est manifeste. À l'entrée « examen » de la neuvième édition de son Dictionnaire, elle a soin de ne proposer aucun exemple avec le verbe réussir : « Préparer un examen. Se présenter à un examen. Être reçu, ajourné, refusé ou, familier, collé à un examen »... mais laisse entrevoir sa position au détour d'autres articles : « Par métonymie. L'épreuve au cours de laquelle ce devoir est rédigé. Réussir, rater une composition » (à l'entrée « composition »), « Épreuve que doit réussir un cheval pour être autorisé à participer aux courses hippiques » (à l'entrée « qualification »), « Il n'y a pas de recette miracle pour réussir ce concours » (à l'entrée « recette ») et surtout « Passer un examen, un concours, s'y présenter ou, vieilli, le réussir » (à l'entrée « passer ») (6). Une fois encore, c'est l'examen de la rubrique Dire, ne pas dire de son site Internet qui permet de lever les derniers doutes, s'il en était besoin : « Impétrant [...] s'emploie en particulier pour nommer celui qui vient de réussir un examen » (article Impétrant au sens de postulant, 2014), « Elle peut réussir son examen, elle a des chances de réussir son examen » (article Il risque de gagner, 2015). Vous l'aurez compris : tout porte à croire que les Immortels, s'ils ne veulent pas être taxés d'inconséquence, consigneront sans plus barguigner les deux constructions réussir un examen et réussir à un examen dans leur Dictionnaire, lors de la prochaine rédaction de l'article consacré au verbe réussir. Il n'y aura alors plus guère qu'un Girodet pour continuer à protester : « Même dans la langue ordinaire, on préférera réussir à un examen ou, mieux, être reçu à un examen à réussir un examen. » L'histoire ne dit pas si ce dernier soutient avec la même ardeur la construction rater à un examen face à la forme transitive directe, cette fois mentionnée sans réserves par Hanse, par le TLFi... et désormais par l'Académie : « Rater un examen » (à l'entrée « rater » de la neuvième édition de son Dictionnaire).
En résumé, voilà trois expressions courantes avec le mot examen (présenter un examen, réussir un examen, passer un examen) qui, pour des raisons qui ne sont rien moins qu'évidentes au candidat usager, prêtent chacune le flanc à la critique. La langue, à n'en pas douter, tient à nous mettre à l'épreuve.
(1) On regrette que les Immortels n'aient pas jugé utile de préciser à cette occasion si présenter un examen est tout aussi peu recommandable quand examen s'entend non plus au sens de « épreuve à laquelle est soumis un candidat », mais à celui de « action d'analyser minutieusement », comme dans : « Nous ne nous attacherons pas à vous présenter un examen détaillé et approfondi de tous ces différents ouvrages » (Paul Henri Thiry d'Holbach, 1770).
(2) « On prépare un examen, mais on ne présente pas un examen, on se présente à un examen, on passe un examen » (Hanse), « On dit : Se présenter à un examen, au baccalauréat... (et non Présenter un examen, le baccalauréat...) » (Thomas), « Dans la langue correcte, on écrira : se présenter à un examen (à tel certificat de licence, etc.), et non présenter un examen » (Girodet), « On ne "présente" pas un examen : on se présente audit examen » (Jacques Capelovici), « On ne doit pas dire : J'ai présenté le baccalauréat ou la licence en telle année. On passe un examen, mais on se présente à un examen » (René Georgin), « On présente tout au monde, sauf le baccalauréat, ou quelque autre examen, car comment pourrait-on présenter ce qu'on ne possède pas encore ? On se présente (verbe pronominal) au baccalauréat devant les examinateurs... » (Louis Piéchaud) et aussi, plus conciliants, « On dit couramment présenter un examen, qui fait l'objet de réserves plus générales encore [...] ; se présenter à un examen est préférable » (Grevisse), « Présenter un examen appartient à l'expression orale relâchée. Dans l'expression soignée, en particulier à l'écrit, préférer se présenter à un examen » (Larousse en ligne).
(3) Emprunté au XVIe siècle de l'italien riuscire (« ressortir », d'où « déboucher, aboutir »), lui-même issu du latin ex-ire, réussir a d'abord signifié « résulter, sortir de », puis a pris le sens courant de « avoir une issue (bonne plus souvent que mauvaise) ». Longtemps, le verbe ne s'est employé qu'absolument ou avec un complément introduit par les prépositions à ou dans : Ce projet n'a pas réussi. Réussir à la guerre, à la cour, dans ses affaires, dans ce qu'on a entrepris ; on disait aussi faire réussir quelque chose (pour « faire qu'il réussisse ») : « Pouvez-vous faire réussir cette affaire ? » (Voltaire). L'usage transitif de réussir serait né dans les milieux de la peinture du début du XIXe siècle, si l'on en croit Pierre-Claude-Victor Boiste : « Réussir un tableau, une composition (nouveau, très usité dans les arts) » (Dictionnaire universel de la langue française, édition de 1834). Dès 1828, dans son Examen critique des dictionnaires de la langue française, Charles Nodier s'était ému de cette « concession à la grammaire d'atelier » : « Réussir, verbe neutre. On le fait maintenant actif dans certaines acceptions ; mal réussir un tableau, une composition, un ouvrage. Un tableau qui a réussi est celui qui a plu au public et aux connaisseurs ; un tableau qui est réussi est celui dont l'exécution a répondu à la pensée, à l'intention du peintre. J'emprunte ces exemples à la peinture, parce que c'est ici en effet de l'argot de peinture ; mais comme il n'est point de langue spéciale qui tienne plus de place dans le Dictionnaire des salons, il y a lieu de craindre que ce solécisme ne gagne du terrain, et qu'on ne dise avant peu, réussir un projet, réussir une entreprise. Les arts et les métiers ont sans doute besoin de recourir quelquefois à certains mots de convention pour exprimer des nuances d'idées, mais ce serait une faute irrémédiable que d'en souffrir l'introduction dans la langue écrite. » Force est de constater que les craintes de notre académicien étaient fondées : « On connaît aussi de lui des scènes champêtres très bien réussies » (François Brulliot, 1817), « C'est un morceau réussi et fait évidemment du premier coup » (Auguste Jal, parlant d'un tableau, 1827), « Cet homme réussit toujours ses tableaux quand il ne s'agit que de bien peindre » (Baudelaire, 1845), « Les premières [roses au crochet] qu'on avait eu tant de mal à réussir » (René Bazin, 1890), « Lorsqu'on a trop réussi sa vie » (Edmond Rostand, 1897), « Tant que la jeune reine [des abeilles] n'aura pas accompli ou réussi son vol nuptial » (Maurice Maeterlinck, 1901), « Elle réussissait merveilleusement ce plat » (Romain Rolland, 1907), « Il [= Dante] réussit cette gageure inouïe de vouloir rendre sensible le règne de la vie spirituelle » (Maurice Barrès, 1927), « Je ne réussis plus que des ébauches » (André Gide), « Depuis qu'il a réussi cette affaire » (Marcel Pagnol), « Réussir un beau dessin » (Antoine de Saint-Exupéry), etc.
(4) Il ne faudrait pas croire que ce fut chose facile. Dans la Préface de la septième édition (1878) de son Dictionnaire, l'Académie déclarait encore : « Il n'est pas probable qu'un tableau réussi trouve jamais grâce devant une Académie française : la faute de français blesse trop la grammaire et l'oreille ; réussir n'a jamais été qu'un verbe neutre [comprenez intransitif]. » Revirement dans la huitième édition (1935), où réussi pris adjectivement fit son entrée, mais avec la mention « dans le langage familier »... jusqu'à nouvel examen : « Un portrait réussi. Un plat bien réussi, mal réussi. »
(5) « Je n'ai jamais nié, ce me semble, que l'on ne fît souvent de réussir un verbe actif : j'ai dit que c'est une faute et qu'elle nous vient des ateliers de peintres. [...] On a toujours le droit, en constatant un usage, de trouver que cet usage est vicieux. C'est même le devoir strict de l'Académie, et je maintiens qu'elle a raison — je ne dis pas de proscrire mais, il y a une nuance, — de ne pas consacrer le verbe réussir transitif » (Chroniques de Lancelot). Mais ça, c'était dans les années 1930...
(6) Passer un examen mérite lui aussi examen. Sur son site Internet, l'Académie rappelle que « cette dernière expression ne signifie pas qu’on le passe avec succès, comme pourrait le laisser croire le faux ami anglais to pass an exam, "être reçu à un examen" », mais qu'on s'y présente pour en subir les épreuves. C'est oublier un peu vite que passer s'est employé au sens de « être reçu » (à un examen, à une épreuve, à un emploi, à un grade, etc.) : « Passer, signifie encore, Être admis, être reçu. Il ne passera pas à l'examen, il est trop ignorant », lit-on ainsi dans les anciennes éditions de son Dictionnaire (de 1694 à 1798). Ce n'est que depuis la sixième édition (1835) que les deux constructions sont nettement distinguées : passer à l'examen (« y être reçu ») et passer un examen (« le subir »). Mais voilà que la nouvelle définition donnée dans la neuvième édition, quand elle réparerait cet oubli, n'en sème pas moins le trouble : « Subir une épreuve, un contrôle. Passer un examen, un concours, s'y présenter ou, vieilli, le réussir. » Comprenne qui pourra...
Ce qu'il conviendrait de dire
J'allais me présenter à l'agrégation de lettres (ou j'allais passer l'agrégation de lettres).