« C'est là que le bas blesse. »
(Estelle Gross, sur nouvelobs.com, le 29 mai 2014)
Âne bâté (photo Wikipédia sous licence GFDL par Moonshadow)
Ce que j'en pense
Et le bougre fait d'autant plus mal à la langue que risque de passer pour un âne bâté quiconque ne sait pas l'orthographier correctement. Car enfin, a-t-on jamais entendu une dame se plaindre que ses bas de soie la faisaient souffrir (encore que, à une autre époque...) ?
Emprunté du latin populaire bastum (« ce qui porte »), lui-même dérivé de bastare (« porter »), le bât attendu (notez l'accent circonflexe) est une pièce de bois que l'on place sur le dos des bêtes de somme pour le transport des fardeaux. Mal fixé ou trop chargé, il peut causer des plaies sur l'échine ou sur le flanc de l'animal. De là l'emploi métaphorique de la locution c'est là que le bât blesse, entendez « là réside la difficulté ; c'est là le point sensible ».
Étranger aux mœurs citadines, bât se retrouve plus souvent qu'à son tour confondu par le locuteur moderne avec l'homophone bas. Il n'est que de consulter la Toile pour y relever, tout bien pesé, pas mal d'âneries sur le sujet : « Mais c'est là que le bas blesse » (Atlantico) ; « Et c'est bien là que le bas blesse » (Gala) ; « C'est ici que le bas blesse » (Courrier picard) ; « C'est sans doute là que le bas blesse » (Le Parisien) ; « Mais là où le bas blesse encore plus » (France TV) ; « C'est là où le bas blesse » (France Info) ; « Et c'est bien là où le bas blesse » (Le Huffington Post). De quoi monter sur ses petits chevaux...
Là n'est d'ailleurs pas le seul écueil que réserve la locution. Nombre d'usagers se demandent encore s'il convient de dire c'est là que le bât blesse ou c'est là où le bât blesse. Sans passer du coq à l'âne, voilà qui justifie que je revienne à la charge, au risque de me répéter : la plupart des grammairiens (Girodet et Thomas en tête) considèrent que là où sert à introduire une proposition relative, sauf après c'est qui commande que dans la langue soignée. Comparez : Là où je vais, il fait chaud mais C'est là que je vais. Dans la dernière édition de son Dictionnaire, l'Académie admet toutefois le tour c'est là où, considéré d'ordinaire comme relâché : « C'est là où, c'est là que, c'est à tel endroit, à tel moment, dans telle situation. » Naïf comme je suis, je m'attendais que la même tolérance figurât à l'entrée bât dudit ouvrage. Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir que les Immortels ne l'entendaient pas de cette (grande) oreille : « Expr. fig. L'endroit où le bât blesse, l'endroit défectueux, le point sensible. On voit où le bât blesse. C'est là que le bât le blesse. » Passons sur l'inconséquence de l'écurie du quai Conti, adepte du « deux poids deux mesures », qui accorde à là ce qu'elle refuse à bât (autrement dit, pourquoi ne pas avoir également enregistré la variante C'est là où le bât le blesse ?). M'intrigue davantage la présence, que je pensais datée, du pronom le, vestige des anciennes expressions savoir où le bât le blesse, frapper quelqu'un où le bât le blesse.
Un tour d'horizon des ouvrages de référence s'imposait : si les dictionnaires usuels, qui labourent à tout vent, s'accordent, une fois n'est pas coutume, sur la forme « C'est là que le bât blesse », Hanse opte pour « C'est là que le bât le blesse », et Bescherelle, pour « C'est là où le bât blesse ». Dupré, quant à lui, tente une synthèse en proposant un bien curieux attelage : « C'est ici où le bât le blesse. » Nous voilà bien avancés !
Bah, vous l'aurez compris : les histoires d'ânes, en somme, on a tôt fait d'en avoir par-dessus le bonnet.
Remarque : Le site Expressions françaises avance, sans citer ses sources, que « dans le langage du moyen français, cette expression devient "savoir où le bas blesse", où le bas fait allusion aux parties sexuelles ». Mes propres recherches ne m'ont pas permis de confirmer cette hypothèse.
Ce qu'il conviendrait de dire
C'est là que le bât blesse.