« Elle s'est vu citée à comparaître devant un juge » (à propos de l'infante d'Espagne doña Cristina, photo ci-contre, soupçonnée de complicité dans une affaire de détournement d'argent public).
(dans L'Express no 3223, avril 2013)
(photo Wikipédia sous licence GFDL)
Ce que j'en pense
Notre journaliste aura bien du mal à nous faire croire qu'il n'a pas été victime d'une confusion entre l’infinitif et le participe passé des verbes du premier groupe... Que nous enseigne la grammaire ? qu'après se voir, on peut recourir à un participe ou à un infinitif (1), selon que l'on souhaite exprimer que l'action est achevée ou en cours (2). Dans la première construction (elle s'est vue citée à comparaître), l'accent est mis sur le résultat de l'action : le pronom s' est complément d'objet direct du verbe voir (elle a vu elle-même être citée à comparaître) et le participe citée, un attribut dudit COD ; l'accord des deux participes est de rigueur. Dans la seconde construction (elle s'est vu citer à comparaître), l'accent est mis cette fois sur le déroulement de l'action : le pronom s' est désormais complément d'objet direct du verbe citer (en d'autres termes, ce n'est pas le sujet qui accomplit l'action de l'infinitif : elle a vu quelqu'un la citer à comparaître), d'où l'invariabilité du participe vu.
De même, on pourra écrire avec un complément d'agent : Elles se sont vues menacées par l'ennemi (on met l'accent sur le résultat de l'action : elles se sont vues elles-mêmes dans cet état) ou Elles se sont vu menacer par l'ennemi (on met l'accent sur la réalisation de l'action : elles ont vu l'ennemi les menacer, l'ennemi était en train de les menacer). Quant à la graphie Elles se sont vues menacer (sous-entendu : quelqu'un), elle s'emploie au sens de « elles ont menacé quelqu'un ».
En français, tout est affaire de... subtilité(s).
(1) Après se voir, le participe n'est évidemment possible que s'il est attribut du pronom réfléchi se. Il va de soi que si l'on a à maintenir un complément d'objet direct (autre que se), c'est l'infinitif qui est requis : Elle s'est vu attribuer le prix d'excellence par le jury. Elle s'est vu refuser l'entrée (c'est elle que l'on refuse), mais Elle s'est vue refuser l'entrée du musée à deux visiteurs (c'est elle qui refuse).
(2) « Le verbe qui suit se voir se met à l'infinitif, s'il exprime l'action : Elle s'est vue tomber, et au participe passé, s'il exprime l'état résultant d'une action accomplie : Elle est fière de se voir admirée » (Grammaire comparée de la langue française de Cyprien Ayer, 1876), « Dans les cas où les deux constructions sont possibles, l'infinitif permet d'insister sur l'action accomplie et le participe sur l'état de la personne qui subit l'action » (Portail linguistique du Canada).
Remarque 1 : Se voir sert d'auxiliaire du passif, avec le participe passé (il équivaut alors à être) ou avec l'infinitif (construction qui a l'avantage de permettre le maintien de l'objet direct).
Remarque 2 : Dans sa Syntaxe du français contemporain (1928), Kristian Sandfeld note que la différence entre participe passé (exprimant une action accomplie) et infinitif (marquant une action en train de s'accomplir) n'est pas toujours observée après se voir : « J'ai vu ton père bâtonné par les laquais » (Anatole France). Parfois, la nuance de sens est minime : « René Bazin éprouvait de l'irritation à se voir considéré comme un "auteur de tout repos" » (Georges Duhamel).
Voir également le billet Accord du participe passé des verbes pronominaux.
Ce qu'il conviendrait de dire
Elle s'est vue citée à comparaître ou Elle s'est vu citer à comparaître.