« Le drôlatique projet de Charles Avery à la galerie Perrotin. »
(paru sur telerama.fr, en juillet 2013)
(photo Wikipédia sous licence GFDL par LPLT)
Ce que j'en pense
Difficile de reprocher à l'auteur de ladite phrase d'avoir affublé l'adjectif drolatique d'un accent circonflexe superfétatoire, quand on sait que tous les autres dérivés de drôle s'affichent dûment chapeautés : drôlerie, drôlement, drôlesse, drôlet, drôlichon, etc. Une nouvelle bizarrerie de la langue française, pour amuser la galerie ? Voire.
Selon le Dictionnaire historique de la langue française, drolatique apparaît en 1565 sous la plume de Rabelais (Les Songes drolatiques de Pantagruel), au sens de « qui a de la drôlerie, qui est plaisant, pittoresque, cocasse ». À cette époque, les graphies drolle ou draule servent encore à désigner un bon vivant, puis un débauché ; rien que de très logique, donc, aux yeux de cette drôle de famille à ce que drolatique naquît tête nue. Il faut attendre le XVIIe siècle pour voir apparaître les premières occurrences de drôle (comme substantif, puis comme adjectif), venant concurrencer la graphie sans accent. Dès la première édition de son Dictionnaire, en 1694, l'Académie met un peu d'ordre dans la maisonnée, en officialisant l'adoption du circonflexe pour la série : drôle, drôlesse, drôlerie (bientôt rejoints par drôlement)... mais ne dit mot de drolatique, alors sorti d'usage (*). Ce dernier patientera jusqu'en 1832 pour se voir remettre au goût du jour avec les Contes drolatiques, « ouvrage d'Honoré de Balzac, dans lequel il a essayé d'imiter le style et même l'orthographe de nos vieux auteurs de contes du XVIe siècle » (Littré). De là, selon toute vraisemblance, l'origine de l'exception : Balzac, pastichant Rabelais, a exhumé l'ancêtre (je parle de drolatique, pas de l'auteur de Gargantua !) dans son plus simple appareil, alors que la famille s'était depuis longtemps accommodée du couvre-chef. Littré constate, impuissant, l'anomalie : « On a pris l'habitude d'écrire ce mot sans accent circonflexe, bien que drôle en ait un. » D'autres spécialistes ont beau tenter de justifier l'alternance ô/o au sein d'une même famille lexicale par la présence d'une syllabe muette ou sonore après ladite voyelle (Blondet), voire par la seule différence du nombre de syllabes (Dupré), force est de constater qu'aucune de ces explications ne peut rendre pleinement compte de conventions orthographiques qui ressortissent le plus souvent à l'arbitraire.
Le plus drôle, dans toute cette histoire, c'est que les réformateurs de 1990, si prompts à préconiser la suppression de l'accent circonflexe sur le i et le u de certains mots, auraient été bien inspirés de le rétablir sur le o de drolatique... même si, ce faisant, ils auraient introduit une anomalie dans la série aromatique, diplomatique, fantomatique, etc. Qui a dit que l'enfer est pavé de bonnes intentions ?
(*) Dans le Dictionnaire historique de la langue française, Alain Rey précise que drolatique est « quasiment éteint après 1611 », jusqu'à son retour en grâce au milieu du XIXe siècle. F. Marguery confirme dans son Manuel d'orthographe et de prononciation (1818) : « Drolatique. adjectif. badin. peu usité. »
Ce qu'il conviendrait de dire
Le drolatique projet de Charles Avery à la galerie Perrotin.