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Des subtilités en héritage

Des subtilités en héritage

« Un quinquagénaire new-yorkais [...] débarque à Paris avec la ferme intention de vendre le bel appartement dont il a hérité de son père. »
(Jérôme Garcin, sur nouvelobs.com, le 6 mai 2015) 

 

 
FlècheCe que j'en pense


Hériter
fait partie de ces verbes (avec décider, discuter, ignorer, rêver, traiter...) qui admettent tantôt un objet direct, tantôt un objet indirect introduit par de (1). Quand il n'a qu'un complément (nom de personne ou nom de chose), il est suivi de la préposition de : Il a hérité de son oncle. Il a hérité d'une grande fortune. Mais quand il en a deux, celui indiquant le bien hérité est direct et celui désignant le généreux donateur, indirect : Il a hérité une grande fortune de son oncle, sur le modèle du « Vous avez hérité ce nom de vos aïeux » de Corneille. Partant, on dira logiquement, avec le pronom relatif : l'oncle dont il a hérité, la grande fortune dont il a hérité mais la grande fortune qu'il a héritée de son oncle (notez l'accord du participe passé). Subtil !

Il apparaît toutefois que cette position défendue par l'Académie et Thomas est loin de faire l'unanimité. D'abord, observe Hanse, si le complément de chose est seul, hériter peut se construire avec ou sans de : Il a hérité d'une maison ou Il a hérité une maison (d'où La maison dont il a hérité ou La maison qu'il a héritée). Et Goosse, le continuateur de Grevisse, d'ajouter :  « La seconde [construction], qui n'est pas mentionnée par l'Académie, [est] plus littéraire ». Plus littéraire ? Voilà qui ne laisse pas de me surprendre. Car enfin, si tel était le cas, pourquoi les académiciens persisteraient-ils à l'ignorer ? Il suffit, du reste, de consulter les écrivains pour constater que l'usage littéraire, en la matière, est loin d'être fixé : « Ils avaient, à la mort de leurs parents, hérité quelques milliers de francs de rente » (Pierre Benoit) mais « Un malheureux collatéral qui avait hérité de six cents livres de rente » (Sade) ; « Sylviane avait hérité une fortune assez considérable » (Lucie Faure) mais « Il avait hérité d'une fortune considérable » (George Sand) ; « Rabelais avait hérité le domaine [...] de Chavigny » (Anatole France) mais « À sa majorité, il hérite du château d'Amboise » (Raymond Queneau) ; « Il hérite une belle maison » (Julien Green) mais « Il épouse Mildred qui a hérité d'un manoir hanté » (Jean Tulard) ; « Le jour qu’elle hérita un accordéon » (Antoine Blondin) mais « Il venait d'hériter d'un piano » (Thérèse Delpech) ; et, au figuré, « Il avait hérité le goût des manies tranquilles » (André Thérive) mais « J'ai hérité de ce goût pour la propriété » (Francine Mallet) ; « Ma fille a fâcheusement hérité cette infirmité » (André Gide) mais « Émilie n'a pas hérité de votre prudence » (François Mauriac) ; « Nous avons hérité ce caractère » (Alexandre Arnoux) mais « De votre injuste haine il n'a point hérité » (Jean Racine) ; « Mais vous avez hérité la patience et la ténacité, vertus paysannes » (Henry Bordeaux) mais « J'ai hérité de ses vices » (Roger Vailland). Maurice Druon, quant à lui, réussit le tour de force de réunir les deux constructions dans la même phrase : « Il pensait avec humeur que celui qui héritait d'un trône eût bien dû hériter aussi la force de s'y tenir droit. » Subtil, vous dis-je !
N'en déplaise aux spécialistes de la langue, le choix entre la construction directe et la construction indirecte ne semble obéir à aucune règle stricte − même si la seconde reste plus fréquente que la première. Sans doute me rétorquera-t-on à bon droit que Pierre-Benjamin Lafaye avance une hypothèse séduisante dans son ouvrage Synonymes français (1841) : « [Le tour sans de] est usité quand il s'agit d'une chose peu ou point spécifiée. Il n'a rien hérité ; voilà tout ce qu'il a hérité [...]. Mais on hérite d'une maison, d'une bibliothèque » ; autant dire que cette nuance − si tant est qu'elle ait jamais existé − n'est plus du tout perçue de nos jours. D'aucuns évoquent encore − de façon peu convaincante à mon sens − des raisons d'euphonie (Thomas), de détermination du complément d'objet (Dupré [2]) ou de place de chaque groupe de mots dans la phrase (L'Intermédiaire des chercheurs et curieux), quand Girodet, visiblement dans l'embarras, se contente de préciser que la construction sans de est « assez fréquente dans la langue actuelle, mais critiquée par quelques grammairiens ».
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Ensuite, Goosse admet que, si le tour hériter de quelque chose de quelqu'un est « rare et peu recommandable − les deux régimes [n'étant] pas là différenciés, sans compter que le double de ne plaît pas aux oreilles délicates −, cela choque moins avec dont et surtout avec en ». Deux remarques s'imposent. La première est que tout porte à croire que Goosse − et plus encore Grevisse (3) − exagère un tantinet ! Rare, la répétition de de après hériter ? Il fut un temps où elle ne choquait apparemment pas : « Il a hérité de cette terre de son père » (De Bussy de Lamet), « Il avait hérité de ce défaut du Marquis de Breauté » (César de Rochefort), « J'ai hérité de lui d'un opéra qui était admirable » (Marivaux), « Le peuple a hérité d'eux de cette ignorance » (De Sainte-Maure), « Le dauphin et le château appartenaient exclusivement à la branche aînée, et aux familles qui ont hérité d'elle du titre de dauphin et du palatinat de Viennois » (chevalier de Courcelles), « Cette nation qui de nos jours n'a rien de commun avec les Romains semble avoir hérité d'eux de cet enthousiasme qui [...] » (Babié de Bercenay), « J'ai malheureusement hérité de cette terrible imagination de ma mère » (Lioult de Chênedollé), « [Elle avait] hérité de lui d'un nez aquilin » (Charles Ponsonailhe), « Ayant hérité d'eux d'une ferme et d'excellentes terres » (La Grande Encyclopédie) ; et jusqu'à notre époque : « Ils ont hérité d'eux de gènes défectueux ou d'une éducation déficiente » (Christian Godin). Au demeurant, l'argument de l'euphonie me paraît ici d'autant moins pertinent que l'on dit très correctement, avec un complément du nom (4) : « L'hôpital général a hérité de tous les biens de ce testateur » (Furetière), « Christian a hérité du caractère de fer de son aïeul paternel [...] et des vertus morales de son bisaïeul maternel » (Chateaubriand), « Les palais bourgeois [...] ont hérité du goût des grands seigneurs » (Charles Nisard), « Hériter de la gloire de ses pères » (neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie), « Ils ont hérité de la maison de leurs parents » (Dictionnaire du français, Josette Rey-Debove) ; et avec l'article indéfini : « Il a hérité de son oncle de très grands biens » (Jean-François Féraud). Il semble donc bien que ce soit avant tout le souci de distinguer formellement les deux objets de valeurs différentes qui justifie le choix de ne pas répéter de devant le nom de la chose quand hériter possède à la fois un complément de personne et un complément de chose : « Il avait hérité ces sentiments de son père » (Racine), « Il avait hérité de l'oncle Paul ses amitiés et ses dégoûts » (Émile Henriot), « De leur père ils avaient hérité le désordre, l'élégance, les caprices furieux » (Cocteau), « Ils ont hérité ces maisons de leurs parents » (Ionesco), « Elle héritera de son père plusieurs immeubles » (neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie).
Concernant l'emploi du pronom relatif − et c'est là ma seconde remarque −, force est de constater, là encore, que l'usage littéraire est pour le moins indécis : « Un secret dont j'ai hérité de mes pères » (Charles Nodier), « Une demi-douzaine de plaisanteries dont il avait hérité d'un oncle » (Stendhal), « Dans cette villa du Roc-Fleuri, dont il avait hérité de son frère » (Jérôme et Jean Tharaud), « Cette propriété indivise dont on hérite de certains parents » (Édmond Jaloux), « L'Italie n'a pas inventé la mosaïque : elle en hérita des Grecs » (Claude Roger-Marx) ; et, plus fréquemment, « C'est une maison qu'il a héritée de son père » (La Bruyère), « [Une couverture]
qu'il avait sans doute héritée de quelque mulet » (Théophile Gautier), « Il a hérité de la grande école républicaine et impériale l'amour des poètes » (Baudelaire), « Le vieux baron de Rungsberg, dont elle avait hérité une fortune de deux millions de francs » (Octave Mirbeau), « Les enfants étaient riches de plus de deux mille francs chacun, qu'ils avaient hérités de leur mère » (René Bazin), « La déesse dont il avait hérité le courage » (Maurras), « J'avais sans doute hérité de mon père ce brusque désir arbitraire de menacer les êtres que j'aimais le plus » (Proust), « À sa mère, il doit le goût des lettres qu'elle avait hérité de sa propre mère » (André Maurois), « Cette réputation de gaieté qu'elle a héritée d'une époque heureuse » (Julien Green), « Cette drogue dont il avait hérité la recette de son père » (Raymond Queneau). Las ! Goosse ne nous dit pas si le tour « Voilà tout ce dont il en a hérité » − qui traîne çà et là en lieu et place du « Voilà tout ce qu'il en a hérité » préconisé par l'Académie − trouve grâce à ses (subtiles) oreilles...

(1) Le verbe hériter peut aussi s'employer absolument : « Il hérite beaucoup » (Molière), « Théramène était riche et avait du mérite ; il a hérité, il est donc très riche et d'un très grand mérite » (La Bruyère).

(2) Selon Dupré, hériter ne peut se construire directement avec un complément d'objet de sens moral dans un emploi figuré que si « le complément n'est pas déterminé par une référence à un nom de personne : Il a hérité les vertus ancestrales mais il a hérité de l'intelligence de son père ». Les exemples contraires ne manquent pourtant pas : « Les enfants héritant l'iniquité du père ! » (Lamartine), « [Ils] avaient hérité la splendeur de Salomon » (Paul-Jean Toulet), « Elle avait hérité l'esprit de sa mère » (Martin du Gard), « Il a hérité les goûts de son père pour la guerre et la séduction de sa mère » (Michel Peyramaure), « Cet enfant a hérité le caractère inflexible de son père » (Jean-Paul Jauneau), « Hériter l'élégance, la grâce de quelqu'un » (TLFi).

(3) « Cette construction [hériter de quelque chose de quelqu'un] ne se rencontre que très rarement », affirmait bien imprudemment Grevisse dans Le Français correct. On notera, par ailleurs, que la variante hériter de quelqu'un de quelque chose, considérée par beaucoup comme encore plus improbable, se trouve notamment chez Marivaux (cf. citations ci-dessus).

(4) Il n'est pas toujours aisé de distinguer de introduisant un complément du nom et de introduisant un complément d'objet indirect. Comparez : Elle a hérité des magnifiques yeux bleus de son père et Elle a hérité de son père ses magnifiques yeux bleus. Pour ne rien simplifier, certains spécialistes (dont Cayrou et Jauneau) parlent plus volontiers de « complément circonstanciel d'origine » à propos du complément précisant la personne de qui provient l'héritage.
Même hésitation entre de préposition et de article partitif : Il hérita de nombreux biens.

Remarque : Hériter est emprunté du latin hereditare (« donner ou recevoir en héritage »), lui-même dérivé de heres, heredis (« héritier ») qui, par les formes hereditas et hereditarius, a donné nos substantifs hérédité et héritier. Le verbe a connu diverses variantes orthographiques (hereter, ereter, eriter, ireter, irriter), jusqu'au rétablissement du h étymologique et au changement du e intercalaire en i. Selon le Dictionnaire historique de la langue française, hériter s'est d'abord employé « pour "donner (quelque chose) en héritage à quelqu'un", puis pour "recevoir (quelque chose) en héritage" (1160-1174), d'où l'emploi moderne sans complément direct (1655, hériter de quelqu'un) ».

 

Flèche

Ce qu'il conviendrait de dire


Le bel appartement qu'il a hérité de son père (?).

 

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M
Merci de votre vigilance !
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C
Bonjour :-) Merci pour cette synthèse des diverses positions ; je m'étais laissé étonner récemment par une tournure transitive directe avec complément indiquant la chose, en me disant que j'étais jusqu'alors fautif... Mais tout n'est pas si simple ;)Une petite question par ailleurs : pourquoi le féminin "Subtile!" et par le masculin "Subtil!"?
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M
Bonjour M. Marc, il y eu un Héritage (en 1943) avec un drole de [H] qui ne laissa personne muet...! L'héritage infernal. C. Trenet.
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