« L’époux acquéreur [d'un bien immobilier] a intérêt de se rapprocher de son notaire au plus tôt dans son projet. »
(paru sur lefigaro.fr, le 11 juin 2015)
Ce que j'en pense
Girodet nous a pourtant mis en garde : « On dit avoir intérêt à (suivi de l'infinitif) et non avoir intérêt de (tour vieilli) : Nous avons intérêt à signer cet accord. » « Vieilli », avoir intérêt de ? Et « littéraire », s'empresse d'ajouter le Larousse en ligne... dans notre intérêt.
Autant l'avouer d'emblée, ces marques d'usage me laissent perplexe. D'abord, parce qu'il serait faux d'en déduire que seule la construction avec de se trouvait autrefois sous les meilleures plumes, au sens de « y avoir avantage, pouvoir en attendre quelque profit ». Jugez-en plutôt : « Camille [...] a intérêt, comme lui, à savoir comment s'est faite une paix dont dépend leur mariage » (Corneille), « Celui qui auroit le plus d'interêt à se plaindre » (Furetière), « Il n'a pas intérêt à la [= la perfection] conserver » (Buffon), « Comme il n'a pas moins d'intérêt à se défaire du superflu de son sol » (Raynal), « Ils ont alors un même intérêt à se défendre et à se respecter les uns les autres » (Panckoucke) ; au demeurant, les auteurs fournissant (indifféremment ?) des exemples des deux manières ne sont pas rares : Bossuet (« [Elle] avoit encore plus d'intérêt à se cacher des Alliés » et « il a intérêt de le [= l'ouvrage] faire durer le plus qu'il pourra »), Fénelon (« Vous n'avez pas moins d'intérêt à empêcher que [...] » et « Chacun de nous avoit un intérêt pressant de la [= la paix] désirer »), Voltaire (« L'intérêt que j'ai à croire une chose n'est pas une preuve de l'existence de cette chose » et « personne n'a intérêt de le soutenir »), Rousseau (« [les chefs] n'ont guère intérêt à faire au-dehors des traités désavantageux à la patrie » et « la condition étant égale pour tous, nul n'a intérêt de la rendre onéreuse aux autres »).
Ensuite, parce qu'il serait tout aussi erroné de penser, à l'inverse, que ladite locution ne se rencontrerait plus de nos jours qu'avec l'infinitif précédé de à, ainsi que croit le savoir Dupré. Pour preuve, ces exemples dignes d'intérêt : « celui-là y avait intérêt de le fuir comme un putois malodorant » (Alphonse Boudard), « le lecteur [...] qui doit souvent être une lectrice (et qui a intérêt de l'être !) » (Maxence Caron), « [Ils] ont intérêt d'être féconds » (Alain René Poirier), « T'as intérêt d'être prêt, fiston » (Yvette Frontenac), « j'aurais intérêt d'être à la hauteur » (Claude Samson), « Nous n'avons aucun intérêt de produire des chiens pour [...] » (Joanne Pépin), « La Russie [...] n'a aucune envie, aucun intérêt de faire la guerre » (Michel Kerautret), « la femme a donc tout intérêt de faire croire au juge que [...] » (George van Mellaert). On notera, au passage, que certains de ces emplois ressortissent davantage à la langue familière qu'au registre « littéraire » ou « soutenu ».
Enfin, parce qu'il est des constructions avec avoir intérêt qui exigent la préposition de : « Ce monsieur-là, ça n'aurait aucun intérêt de vous dire depuis combien de temps au juste il vient ici » (Raymond Queneau), « Cela n'aurait aucun intérêt d'avoir éternellement des excédents commerciaux » (Thomas Piketty), alors que l'on peut dire, à la forme personnelle : « nous n'avons aucun intérêt de leur donner une autre face » (Marmontel) ou « l'homme heureux n'a aucun intérêt à être athée » (Chateaubriand).
Aussi ne s'étonnera-t-on pas que je fasse mienne la position, autrement mesurée, de Thomas : « Avoir intérêt, suivi d'un infinitif, se construit avec à ou de : Ils ont trop d'intérêt à me justifier (Racine). Les hommes peuvent faire des injustices parce qu'ils ont intérêt de les commettre (Montesquieu). » Deux siècles plus tôt, Féraud parvenait déjà à la même conclusion : « Avoir intérêt régit à ou de devant l'infinitif. » Il va toutefois sans dire que l'usager soucieux de ne pas donner dans l'archaïsme aura tout intérêt... à préférer, chaque fois que ce sera possible, la construction « courante » (je n'ose écrire « moderne ») avec la préposition à, seule répertoriée dans la dernière édition du Dictionnaire de l'Académie.
Remarque 1 : À en croire le Dictionnaire historique de la langue française, la locution avoir intérêt à serait attestée dès 1534.
Remarque 2 : Une fois n'est pas coutume, la position de Littré manque singulièrement de clarté. Le lexicographe nous invite à faire la distinction entre les tours avoir intérêt de (« avec un verbe à l'infinitif ») et avoir intérêt à... mais donne pour définition de ce dernier « trouver qu'il nous importe de », construction qui appelle un infinitif contrairement à l'exemple proposé (emprunté à Corneille) : « Mais a-t-elle intérêt au choix que vous ferez ? » De là à lui réclamer des dommages et intérêts...
Remarque 3 : Selon Girodet, « dans la langue très soignée, on évitera le tour avoir intérêt à ce que et on préférera avoir intérêt que (suivi du subjonctif) : Nous avons intérêt que cet accord soit signé rapidement (plutôt que à ce que cet accord soit signé). »
Remarque 4 : La concurrence entre les prépositions à et de est fréquente après certains verbes (commencer, consentir, continuer...), avec ou sans changement de sens.
Ce qu'il conviendrait de dire
Il a intérêt à se rapprocher de son notaire (plus couramment que Il a intérêt de se rapprocher ?).