Bien malgré lui, le verbe dédier est l'objet d'une double confusion de sens.
Confusion avec son paronyme dédicacer, tout d'abord. Hanse nous met en garde : « Un auteur dédie son livre à quelqu'un par une dédicace imprimée » − vous savez, ces quelques mots parfois tendres, parfois humoristiques, parfois mystérieux placés à la tête de l'ouvrage en guise d'hommage au dédicataire : À mon père qui m'a reconnu et qui se reconnaîtra... ou encore Au chien cerbère (Claude Arnaud). Hanse ajoute : « Si la dédicace est manuscrite, il dédicace son livre à quelqu'un », lors d'une séance... de dédicace !
On aura, dès lors, beau jeu de dédire les petits malins qui prétendent dédicacer sur les ondes leur chanson préférée à qui de droit. Ont-ils griffonné quelques mots dessus, y ont-ils apposé leur signature ? Assurément, non ! Voilà pourquoi lesdits auditeurs seraient bien inspirés de recourir au verbe dédier plutôt qu'au verbe dédicacer, chaque fois qu'il est question de célébrer la pensée d'autrui.
Dans cette librairie, un auteur célèbre dédicace des exemplaires de son dernier roman (= il y appose sa signature).
À la radio, pour la Saint-Valentin, nombreux sont les auditeurs à vouloir dédier une chanson à leur conjoint (= ils destinent une chanson à leur conjoint, en guise d'hommage).
Glissement sémantique, enfin. À l'origine, dédier a un sens religieux, comme le rappelle l'Académie dans son Dictionnaire : « Consacrer au culte divin. Dédier un autel, une église. Spécialement. Mettre sous l'invocation d'une divinité, d'un saint. Un temple dédié à Apollon. Une chapelle dédiée à la Vierge. » De là l'idée de mettre une œuvre littéraire ou artistique sous le patronage de celui à qui on la destine ou de lui en faire hommage : Dédier son livre à un mentor. Et, au figuré, celle de vouer toutes ses forces à une cause : Dédier sa vie (= la consacrer) à la poésie, à la science. Dédier ses efforts au relèvement de la patrie.
Mais voilà que, sous l'influence de l'anglais dedicated, le participe passé dédié s'utilise de plus en plus fréquemment comme adjectif au sens de « consacré, réservé, spécialisé, destiné, affecté » : formulaire dédié, logiciel dédié, équipement dédié, service dédié, personnel dédié... Dans la langue soignée et précise, on gagnera à éviter cet emploi abusif, et souvent absolu, en recourant à des équivalents (le français n'en manquant pas).
Les œuvres de cet artiste sont visibles dans une salle qui lui est entièrement consacrée (et non dans une salle dédiée).
Un salon pour les (ou destiné aux) créateurs d'entreprise (et non dédié aux créateurs d'entreprise).
Un espace spécialement conçu pour les adolescents (et non Un espace dédié aux adolescents).
Un guichet réservé aux abonnés (et non dédié aux abonnés).
Remarque 1 : Il faut bien reconnaître que tout prédispose à une telle confusion : l'étymologie (dédier est emprunté du latin dedicare, dont est également issu dédicacer, par l'intermédiaire du substantif dedicatio) et le fait que les mêmes substantifs valent pour nos deux paronymes : dédicace (la dédicace d'une œuvre, la dédicace manuscrite d'un exemplaire), voire dédicataire.
Remarque 2 : On notera la construction : dédier / dédicacer quelque chose à quelqu'un (et non pour quelqu'un).
Les Concertos brandebourgeois sont dédiés au
margrave de Brandebourg et portent une dédicace de la main de Bach.