« Le débat sur l'impôt a repris de plus bel ces derniers jours, encouragé par le FMI. »
(paru sur marianne.net, le 13 août 2013)
Ce que j'en pense
Voilà qui n'est pas joli joli... Car enfin, j'en étais resté naïvement à la graphie de plus belle. À la décharge de notre journaliste, reconnaissons qu'il n'en fut pas toujours ainsi et que la situation a longtemps été confuse.
Confusion sur la forme, d'abord. Selon le TLFi et le Dictionnaire historique de la langue française, l'expression serait d'abord apparue au masculin, mais avec la forme beau (et non bel, généralement employée devant un nom commençant par une voyelle ou un h muet) : « Bravant de plus beau Mes pensers subornez » (Agrippa d'Aubigné, avant 1580). Il n'est pourtant que de consulter le Dictionnaire du moyen français ou l'Essai de grammaire de la langue française de Damourette et Pichon pour s'aviser que l'intéressée est bel et bien attestée dès le XVe siècle, sous diverses variantes orthographiques (celles au féminin étant apparemment les plus fréquentes) : « Il se remettroit de plus belles en queste » (Perceforest, vers 1450), « [Il] se print de la plus belle sans à nully descouvrir son hault desir. [...] Et de plus belle se recommance à plaindre » (Louis de Beauvau, vers 1455), « Recommenchier de plus belle l'escarmuche » (Le Roman du comte d'Artois, avant 1467), « Mais nous le [= tel édifice] referons de plus beau S'i plaist a Dieu et a ses sains » (Le Mystère du siège d'Orléans, avant 1500) − j'ajoute : « [Les moustiques] revenoient de plus bel qu'auparavant » (Gabriel Sagard, 1636).
Confusion sur le sens, ensuite. Le Dictionnaire historique voit dans « de nouveau » l'acception première (qui se serait nuancée en « plus fort encore »), quand le Dictionnaire du moyen français s'en tient à « de manière plus intense, plus fortement ». Richelet, dans son propre Dictionnaire (1680), a beau jeu d'apporter sa touche personnelle : « Mieux que de coutume (Il recommence de plus-belle). Plus fort qu'auparavant (Il recommence de plus-belle à jurer, etc.) », autrement dit : « plus efficacement ou plus fortement ». Citons encore : « Afresh or more earnestly than before » (Abel Boyer, 1699), « De nouveau, avec une nouvelle ardeur » (Louis-Nicolas Bescherelle, 1845, conciliant les notions de nouveauté et d'intensité), « En augmentant » (Littré, 1863). Qui croire ? L'Académie, après avoir longtemps hésité (1), tente une synthèse : « De nouveau et même davantage. Il s'est remis à boire de plus belle. Elles sanglotaient de plus belle » (neuvième édition de son Dictionnaire).
Mais au fait, me demanderez-vous, pourquoi ce féminin ? Sans doute parce que l'on s'est convaincu un beau jour que le substantif manière était sous-entendu, avance Louis-Nicolas Bescherelle dans sa Grammaire nationale (1834) : Il se mit à boire encore d'(une) plus belle (manière), sur le modèle des tours elliptiques en conter de belles (sottises), l'échapper belle (en parlant à l'origine d'une balle manquée pourtant facile à renvoyer), la bailler belle ou bonne, etc. (2) Gageons que les fans de Plus belle (la vie) retiendront que notre locution adverbiale est désormais figée au féminin singulier.
(1) Comparez : « On dit aussi Rentrer de plus belle pour dire Faire un effort plus grand que le premier » (première édition de son Dictionnaire, 1694) et « Tout de nouveau » (1718-1935).
(2) Éman Martin va plus loin : selon le rédacteur du Courrier de Vaugelas, l'idée adverbiale de bien s'exprimait autrefois par bel, beau, ainsi que le montrent ces exemples : « N'il ne s'en sorent beau partir » (Chronique des ducs de Normandie, XIIe siècle), « Bel et courtoisement a le roi salué » (Berte aus grans piés, XIIIe siècle). Cela permettait de rendre mieux sous la forme d'un comparatif régulier ; on disait plus beau ou plus bel. « Mais, par un caprice de l'usage, plus beau cessa de s'employer, cédant la place à plus bel ; et, comme ce dernier se plaçait après le verbe en qualité d'adverbe, on crut probablement que, dans les phrases où il figurait, le mot manière était sous-entendu, ce qui induisit à écrire bel au féminin, et à faire précéder plus de la préposition de comme si l'expression eût été l'abrégé de de la plus belle manière. [...] Cette expression voudrait dire, au sens littéral, mieux. »
Ce qu'il conviendrait de dire
Le débat sur l'impôt a repris de plus belle.