« Assénée de coups de tête par une vache dans le nord de l'Angleterre, une promeneuse de 61 ans est décédée des suites de ses blessures deux jours plus tard. »
(paru sur bfmtv.com, le 19 avril 2016)
Ce que j'en pense
Nul doute que mon propos paraîtra bien dérisoire en regard de ces tragiques circonstances. Il n'empêche, le chroniqueur de langue doué de quelque sensibilité accuse doublement le coup : car enfin, il est d'usage de dire assener des coups (des injures, des vérités...) à quelqu'un et non pas assener quelqu'un de coups (d'injures...). Pour preuve, s'il en est besoin, ces quelques exemples, que je vous livre d'une traite : « Il lui a assené un coup sur la tête » (Robert illustré), « Asséner un coup de bâton à un agresseur » (Larousse en ligne), « Donner, asséner, décocher un coup de poing à quelqu'un » (neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie), « Assener une raclée, des injures à quelqu'un » (TLFi), « Quand on disait doucement la vérité à Pierre, il se méfiait, il fallait la lui asséner avec violence, pour étourdir et paralyser les soupçons » (Sartre, cité dans le TLFi), « Il ne déployait le peu de vigueur qui lui restait que pour lui asséner de soigneuses raclées » (Huysmans, cité dans le TLFi), « Quand je voulais plaisanter, j'assenais aux autres, sans l'avoir voulu, des coups qu'ils ne me pardonnaient pas » (Mauriac, cité dans le Grand Larousse)
Et pourtant, renseignements pris, il me faut bien reconnaître qu'il n'en fut pas toujours ainsi. Ne lit-on pas dans le Thresor (1606) de Jean Nicot : « Le Roy [...] assena un veneur de son espieu et l'abbatit roide mort » ? C'est que, nous apprend Jean-François Féraud dans son Dictionnaire critique de la langue française (1787), le verbe assener possédait autrefois deux acceptions principales : « donner, porter (un coup violent) » − sens qui s'est maintenu jusqu'à nous − et « frapper, viser (quelqu'un) » (1) ; partant, « il régit ou le datif de la personne et l'accusatif de la chose : Il lui assena un coup de massue ; ou l'accusatif de la personne et l'ablatif (la préposition de) de la chose : Il l'a assené d'un coup de pierre entre les deux yeux. [Selon l'Académie,] ce dernier régime est moins usité que le premier : il est relatif au second sens d'assener » − gageons que notre journaliste aura bu là du petit-lait...
Mais ça, c'était il y a longtemps. De nos jours, les dictionnaires usuels ne broutent plus cette herbe-là : ils n'ont d'yeux que pour la première construction. Aussi s'étonne-t-on de voir la seconde perdurer sur la Toile, sous l'influence probable de l'expression rouer de coups : « Asséner de coups les dirigeants » (Le Figaro), « Il ne m'a pas asséné de coups avec violence » (L'Obs), « Les hommes mariés [sont] assénés de coup poing [sic] en plein visage » (RFI), « Assénés de coups de pieds » (TF1), « [Les averses] nous assènent de coups de tonnerre et de rafales de vent » (France 3). Et que dire encore de la définition que le Wiktionnaire donne de « rouer de coups », précisément : « Asséner de coups ; battre » ? Pis (de vache), cette phrase dénichée sur le site tvmag.lefigaro.fr : « Il l'aurait assennée [sic] de coups de couteau, blessant la femme dans le dos, sur le bras et sur la jambe. »
Pour le coup, mieux veau, pardon mieux vaut encore changer de crèmerie...
(1) On lit dans le Dictionnaire historique (1894) de l'Académie française : « Assener quelqu'un, l'atteindre après l'avoir visé. Cette expression [était] déjà hors d'usage du temps de Joachim du Bellay. »
Remarque 1 : Dérivé de ad (« vers ») et de l'ancien français sen (« direction de la marche ; raison »), le verbe assener, qui signifiait primitivement « diriger (un coup) vers, sur », doit en principe s'écrire sans accent aigu, si l'on en croit le Dictionnaire historique de la langue française. Telle fut, au demeurant, la graphie retenue par l'Académie... jusqu'en 1975, date à laquelle la docte assemblée admit les deux formes, assener ou asséner. Après avoir longuement ruminé sa décision, elle fit machine arrière en 1987, en cherchant à imposer la graphie ancienne non accentuée. Nouvelle volte-face dans la neuvième édition de son Dictionnaire, où seule est désormais mentionnée la graphie asséner, plus conforme à la prononciation réelle. De là à soupçonner les Immortels d'être atteints du syndrome de la vache folle...
Remarque 2 : Selon Littré, le verbe assener (qu'il préconisait de prononcer a-sse-né) n'est que la forme ancienne et vulgaire de assigner.
Ce qu'il conviendrait de dire
Rouée de coups de tête par une vache.