« Depuis novembre, tous ces arbres hibernent [dans l'orangerie du château de Versailles, photo ci-contre]. En cette fin de printemps, il est temps pour eux de prendre l'air. »
(entendu dans le reportage Versailles : dans les coulisses du plus beau château du monde, diffusé le 27 décembre 2016 sur TMC)
Ce que j'en pense
Hiberner et hiverner ont beau avoir le latin hibernum (« hiver ») en commun, ils n'ont pas le même sens. Hiverner, formé à la fin du XIIe siècle d'après hiver, suppose simplement de passer la mauvaise saison à l'abri des intempéries. Que l'on songe aux troupes militaires qui regagnent leurs cantonnements, aux navires qui s'abritent dans les ports et aux animaux qui, tout en restant actifs, trouvent refuge dans un terrier, dans une étable ou dans un lieu tempéré : Les troupes d'Hannibal hivernèrent à Capoue. Les oiseaux migrateurs hivernent dans des régions chaudes. En parlant de végétaux, ledit verbe s'emploie transitivement au sens de « mettre à l'abri de la gelée, dans une serre, une orangerie » : À Versailles, l'orangerie a été créée sous Louis XIV pour hiverner les orangers ; on dira de même hiverner le bétail (« le mettre à l'abri pour l'hiver »), voire hiverner une terre (« la travailler une dernière fois avant la venue de la saison froide »).
Hiberner, quant à lui, est de formation beaucoup plus récente (toute fin du XVIIIe siècle [*]) : il s'agit d'un emprunt savant au latin hibernare (« être en quartiers d'hiver »), qui se dit des animaux passant l'hiver dans un état d'engourdissement ou de profonde léthargie que ne suppose pas hiverner : La marmotte, le loir, le hérisson, l'escargot, la chauve-souris hibernent, c'est-à-dire subissent un phénomène biologique au cours duquel toutes leurs fonctions vitales sont ralenties à l'extrême. Sur le terrain − autrement glissant − de la syntaxe, on notera que le TLFi fait preuve de moins de frilosité que les dictionnaires usuels en affirmant que le verbe hiberner se construit à l'occasion avec un complément d'objet : hiberner un malade, comprenez « provoquer par des moyens physiques et l'emploi de produits pharmaceutiques un abaissement considérable de la température du corps à des fins généralement thérapeutiques ».
La confusion entre nos doublets est fréquente (il n'aura échappé à personne qu'ils ne diffèrent que par une seule lettre) et perdure jusque sous des plumes avisées : « C’est la première fois qu’un navire ait hiberné dans la zone glaciale du Sud, au delà du cercle polaire » (Gaston Boissier), « Me voici pauvre et sans butin, ayant vécu de ma substance, ayant estivé comme les marmottes hivernent, nourri de ma propre moelle » (Alexandre Arnoux), « L'œil mi-clos et une dent mise au bord du sourire il [le crocodile] hiverne, endormi pour cent jours par un enchantement étrange » (Jean Cocteau). Pas de quoi frissonner d'indignation pour autant.
(*) La forme hiberner figure toutefois dès 1620 dans un texte de Philippe de Mornay, mais avec le sens d'hiverner : « Le Turc menace pour le printemps la Pologne et va hiberner sur la frontière vers la Podolie. »
Remarque 1 : De même distinguera-t-on froidement les adjectifs hivernal (un froid hivernal) et hibernal (le sommeil hibernal de la marmotte), ainsi que les substantifs hivernation et hibernation.
Remarque 2 : À l'approche de l'hiver, lit-on dans Sur la piste des mammifères sauvages de Patrick Haffner et Audrey Savouré-Soubelet, l'ours, à la différence de la marmotte, « entre dans un état de somnolence interrompu par de nombreuses phases de réveil où il peut alors se déplacer, s'alimenter, uriner ou allaiter ses petits ». Aussi dit-on que l'ours hiverne quand la marmotte hiberne.
Ce qu'il conviendrait de dire
Tous ces arbres sont hivernés depuis novembre.