« As they say, the problem with the French is they have no word for entrepreneur. »
(Janine di Giovanni, sur newsweek.com, le 3 janvier 2014)
Ce que j'en pense
Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir cet article paru sur la version en ligne de l'hebdomadaire américain Newsweek et sobrement intitulé The Fall of France, « le déclin de la France » !
Loin de moi l'intention de discuter du fond de ce réquisitoire contre notre pays : ce n'est pas le propos d'un blog(ue) consacré à la langue que de gloser sur la situation économique et politique de la France. Mais ces critiques, pour légitimes qu’elles puissent paraître aux yeux de certains, ne sauraient s'appuyer sur une contre-vérité linguistique. Car enfin, venir soutenir qu'il n'existe pas de mot pour entrepreneur dans la langue de Voltaire, il fallait oser ! Les Jean-Baptiste Say, André Citroën, Xavier Niel, Marc Simoncini apprécieront.
Il n'est que de consulter le Dictionnaire historique de la langue française pour apprendre que le verbe entreprendre (composé de deux mots bien de chez nous, entre et prendre) est apparu dans notre lexique vers 1140, suivi un siècle plus tard (*) du substantif entrepreneur (sous diverses variantes orthographiques : entrepreneeur, entreprendeeur, emprendeur), au sens de « personne qui entreprend quelque chose ». Et si extraordinaire que cela puisse paraître aux yeux de certains, tout porte à croire que ce sont les Anglais qui nous ont emprunté ce dernier : « Entrepreneur : from French, from entreprendre to undertake » (Oxford Dictionary).
N'en déplaise aux cassandres de Newsweek, le mot existe donc de ce côté-ci de l'Atlantique depuis plus de sept siècles. Oserai-je également avancer qu'il n'est pas près d'y tomber en désuétude, comme on voudrait nous le faire croire dans les mêmes colonnes ? Je n'en veux pour preuve que le statut d'auto(-)entrepreneur, les Journées de l'entrepreneur, l'association Femmes entrepreneurs, etc.
À la décharge de notre journaliste, il semblerait qu'elle se soit ici contentée de reprendre une citation attribuée à George W. Bush, comme le laisse entendre le as they say (« comme on dit, comme dirait l'autre ») introductif. Qu'importe ! Amis anglo-saxons, soyez fair-play : pour une fois que dans le domaine des affaires c'est l'anglais qui a emprunté au français, il serait tout à votre honneur de rendre à Marianne ce qui lui revient de droit.
(*) Dès le XIIe siècle, selon Grandsaignes d'Hauterive (Dictionnaire d'ancien français).
Remarque : Voir également le billet Entrepreneuriat.
Ce qu'il conviendrait de dire
Mieux vaut en rire qu'en pleurer.