« Rien ne m'interdit sinon de prolonger la location du caveau provisoire, au moins de demeurer à Sète et de laisser pauvre papa regagner ses pénates parisiennes avec Monsieur Paul. »
(Philippe Bouvard, dans son livre Un homme libre, paru aux éditions Grasset en 1995)
Ce que j'en pense
Nul n'est à l'abri d'une sortie de route orthographique, me direz-vous, pas même les amoureux de la langue française. La plume pourtant affûtée de Philippe Bouvard semble ainsi avoir oublié que pénates est du genre masculin. Emprunté du latin penates, nom donné chez les Étrusques et les Romains aux « dieux protecteurs du foyer » (lui-même dérivé de penus, « partie intérieure de la maison où étaient cachées les provisions », puis « garde-manger »), le substantif a d'abord désigné en français lesdits dieux ainsi que les statuettes à leur effigie, puis a pris par métonymie le sens de « foyer, demeure » dans quelques locutions restées au pluriel : retrouver, regagner ses pénates (entendez : rentrer chez soi). Il s'emploie à l'occasion comme adjectif : les dieux pénates.
Girodet est catégorique (c'est, du reste, bien son... genre) : « Toujours masculin, toujours au pluriel, toujours avec un p minuscule : Les pénates protecteurs. » Et force est de reconnaître que les autres dieux de la grammaire que sont Thomas, Bescherelle, Littré, Larousse, Robert et l'Académie se rangent à l'avis de la maison. Difficile, pourtant, d'ignorer les (rares) emplois de pénates au féminin ou au singulier rencontrés chez quelques (grands) auteurs : « Il savoit que la statue populaire, que le pénate obscur qui console le malheureux, est plus utile à l'humanité que le livre du philosophe » (Chateaubriand) ; « Nous désirons beaucoup vous voir revenir aussi le plus vite possible en nos pénates mâconnaises » (Lamartine). Voilà sans doute pourquoi Alain Rey note à bon droit que, dans son acception usuelle de « foyer, demeure », le genre de pénates est « parfois hésitant » (Dictionnaire historique de la langue française). Il n'empêche : n'est pas Lamartine qui veut ! Évitons donc de prendre la grosse tête en versant dans la confusion des genres et tenons-nous en prudemment, à Paris comme à Sète, à l'accord au masculin pluriel.
Si encore le genre était seul en cause, mais le choix des locutions construites avec pénates se révèle tout aussi délicat. Installer, emporter ses pénates en un lieu sont des expressions correctement formées que l'on rencontre encore – par allusion aux statues des dieux que l'on emportait à chaque changement d'habitation – pour signifier « y fixer sa demeure ». Le cas du tour rentrer dans ses pénates fut autrement débattu : condamné par l'Académie de 1798, il n'acquit droit de cité dans son Dictionnaire qu'en 2011 ! Et pour cause : il ne peut se concevoir qu'en tenant compte du sens figuré – « familier et plaisant », ajoutent les académiciens – de notre substantif. Partant, comment s'étonner de voir fleurir sur la Toile des constructions suspectes du genre « C'est ici qu'il a élu ses pénates », dont on se demande si c'est du... lare (*) ou du cochon. De là à ce que l'on en vienne à parler de mise en... pénates.
(*) Autre divinité protectrice chez les Romains : Les lares et les pénates.
Ce qu'il conviendrait de dire
Regagner ses pénates parisiens.