« L’été dernier, l’ancien lanceur de marteau au FC Sochaux [Stéphane Casoli] pesait 112 kilos. Les deux petits kilos pris chaque année finissaient par "énerver" le patron d’une agence de com’ à Montbéliard, membre de la Table ronde française (...) où l’on sait aussi apprécier la bonne chaire. »
(Françoise Jeanparis, sur estrepublicain.fr, le 19 août 2013)
Ce que j'en pense
Ne faisons pas la fine bouche : la coquille est d'autant plus savoureuse que l'on est fondé à croire que les chevaliers de la Table ronde avaient leurs séants confortablement posés sur de bonnes... chaises ! De fait, le substantif féminin chaire (du latin cathedra, « siège à dossier ») a fini par s'altérer en chaise, à force de désigner le siège réservé à une personnalité, ecclésiastique ou professorale.
Sans e final bien qu'également de genre féminin, l'homophone chair (du latin caro, carnis, de même sens) pouvait paraître plus appétissant : ne l'emploie-t-on pas avec un plaisir non dissimulé pour désigner la nourriture, la viande, qu'elle soit humaine (des cannibales en mal de chair fraîche) ou animale (la chair de cette volaille est délicate) ? Plus que de la chair de poule, à la vérité, c'est de la chair du visage qu'il est en fait ici question.
Emprunté du grec kara (« tête, visage »), le substantif féminin chère renvoyait à l'origine à la figure, notamment celle, bonne ou mauvaise, que l'on faisait à l'hôte fraîchement arrivé. Faire bonne (ou mauvaise) chère à quelqu'un, c'était lui faire bon (ou mauvais) accueil : « Il me sait si bon gré de vous avoir mise au monde qu'il ne sait quelle chère me faire » (Mme de Sévigné). Il faut croire qu'en France la porte qui mène de l'entrée à la cuisine relève du passage obligé, car le mot chère a fini par se dire à propos des mets considérés sous le rapport de la quantité, de la qualité, de la délicatesse, et c'est tout naturellement que la locution faire bonne chère est passée du sens de « faire bon accueil » à celui de « faire un bon repas » : « A present nulluy ne demande / Fors bon vin et bonne viande / Banquetz et faire bonne chiere » (Charles d'Orléans) ; « L'amour, les vins libres [généreux], et toute bonne chere » (Du Bellay).
Quand l'homophonie de chair aurait favorisé ce glissement sémantique, elle ne saurait justifier les confusions orthographiques que les journalistes nous servent jusqu'à l'indigestion : « Coureur de jupons et amateur de bonne chair » (Libération), « Au pays du vin et de la bonne chair » (L'Express), « [Ils] faisaient bombance et bonne chair » (Le Point), « En amateur de bonne chaire » (Gala), « [Les] amoureux de la bonne chaire et du voyage » (Le Parisien), etc.
De vous à moi, je ne donne pas... cher de leur peau.
Ce qu'il conviendrait de dire
Apprécier la bonne chère.