Eklablog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Ça va mieux en le dis(s)ant

« Philippe Richert [ex-président de la région Grand Est] a été peu dissert sur les raisons de sa démission. »
(paru sur francetvinfo.fr, le 30 septembre 2017)

 

  FlècheCe que j'en pense


Qui osera encore prétendre qu'il n'y a rien de nouveau... à l'est ? Je veux parler non pas de politique − vous vous doutez bien que l'objet de ma chronique n'est pas de disserter sur ce sujet −, mais de langue. C'est que j'en étais resté, pour ma part, à la graphie disert avec un seul s, conformément à l'étymologie latine : disertus, « clair, intelligible, bien exposé » et, en parlant d'une personne, « qui est habile à s'exprimer, qui parle bien ». Mais il n'est que de consulter la Toile pour constater que la chose ne va pas de soi pour plus d'un usager, comme en témoignent ces exemples éloquents : « Il a eu l'air d'être plus dissert » (BFM TV), « L'acteur [...] s'est fort heureusement montré plus dissert » (Le Figaro), « Thierry Ardisson s'est montré plus dissert et véhément » (RTL), « Gourvennec s'est montré beaucoup plus dissert lorsqu'il a été invité à commenter le mercato des autres » (L’Équipe), « Reste que les politiques sont peu disserts sur le sujet » (LCI), « Peu disserte pour le moment, la préfecture de Lyon fait savoir que [...] » (L'Obs), « Elle s'est montrée peu disserte sur son intimité » (VSD), « Elle ne s'est pas non plus montrée très disserte » (Le Monde).

Reconnaissons, à la décharge des contrevenants, que le cas présent est traître. Car enfin, Félix Gaffiot, dans son fameux dictionnaire latin-français, n'observe-t-il pas que la graphie avec consonne double est « fréquente dans les manuscrits [latins] » ? Il se pourrait, en effet, que la forme latine originelle fût dissertus, participe passé du verbe disserere (« enchaîner à la file des idées, des raisonnements ; exposer avec enchaînement ; raisonner ») − lui-même formé de dis- (préfixe qui exprime ici l'idée de distribution) et de serere (« entrelacer ; joindre, enchaîner, unir ») −, laquelle aurait ensuite donné la variante disertus après la chute d'un des deux s. Seulement voilà : cette évolution constituerait une exception, dans la mesure où le préfixe latin dis- ne subit d'ordinaire aucun changement devant un s suivi d'une voyelle − que l'on songe à dissensio, qui a donné le français dissension, et à dissimilis, dont est issu dissemblable. C'est pourquoi certains étymologistes avancent une autre hypothèse, dont le Dictionnaire historique de langue française se fait l'écho : « La voyelle brève de disertus fai[san]t problème, il faut peut-être envisager une formation en dis- et artus (« habileté, technique »), avec le sens originel de  "disposé ou qui dispose avec habileté" ou "qui divise bien". » Autrement dit, on n'a pas de certitude... Toujours est-il que l'on veillera, en français, à ne pas confondre l'adjectif disert (prononcé dizère), qui qualifie une personne s'exprimant facilement, abondamment et avec quelque élégance, et le substantif dissert' (avec t sonore), abréviation familière de dissertation. Histoire d'éviter, cette fois, d'être complètement à l'ouest.

 

Flèche

Ce qu'il conviendrait de dire


Il a été peu disert sur les raisons de sa démission.

 

Retour à l'accueil
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
J
Est-ce une co(q)uille ???...
Répondre