« Un montage de unes circulant actuellement sur le web, [...] qui témoigne de la présence du mot "migrant" (au singulier ou au pluriel, selon qu'il soit adjectif ou substantif) dans plus de trente titres du Daily Express ces dernières semaines. »
(Emmanuel Tellier, sur telerama.fr, le 27 juin 2016)
Ce que j'en pense
Une fois n'est pas coutume, les spécialistes de la langue sont unanimes : la locution conjonctive selon que exige l'indicatif − voire le conditionnel, ajoute Hanse (1) −, qu'elle marque la conformité (« Selon qu'il fut dit, il fut fait », cardinal de Retz ; « Ai-je réglé ma vie selon qu'il convenait ? », Barrès), la proportion (« Ainsi se vont les opinions succédant du pour au contre, selon qu’on a de lumière », Pascal ; « Agir, selon qu'on a de lumière et de force », Blondel) ou, surtout, l'alternative (« Selon que vous serez puissant ou misérable », La Fontaine ; « Selon que le chef était plus ou moins sévère », Hugo).
Pourquoi l'indicatif, me demanderez-vous ? Parce que, à la différence de (soit) que... (soit) que... qui exprime une alternative d'hypothèses dont le choix n'a pas d'influence sur l'accomplissement du procès de la proposition principale, selon que (comme suivant que) en corrélation avec ou exprime − selon (!) Sandrine Blondet, dans sa Grammaire française (2003) − « une alternative exclusive de deux hypothèses dont une seule est valable » ; et comme l'une est posée comme réelle, le mode indicatif est de rigueur. Comparez : Qu'il ait raison ou qu'il ait tort, il s'obstine et Selon qu'il a raison ou qu'il a tort, il est un bon ou un mauvais critique. Dans l'affaire qui nous occupe, l'anglais migrant est, de fait, soit adjectif et donc écrit au singulier, soit substantif et donc susceptible de prendre la marque du pluriel.
Force est pourtant de constater que le subjonctif tend à concurrencer l'indicatif, depuis le XXe siècle, après selon que et suivant que marquant l'alternative. Pour preuve, ces quelques exemples trouvés chez des auteurs appelés à réviser leurs conjugaisons : « Cette sorte d'enchantement (ou d'envoûtement, selon qu'on veuille l'entendre) » (Maurice Genevoix), « Selon qu'il dût s'en aller chez un tripier ou chez une ouvrière en chambre » (Philippe Hériat, cité par Knud Togeby), « Suivant que l'on se travestisse en major anglais ou en Français moyen » (Pierre Daninos, cité par Grevisse), « Selon que l'on veuille ou non considérer ces changements comme un progrès » (Pierre Legendre), « Selon qu'il soit avant ou après le nom » (Pierre Vidal-Naquet), « Selon que l'on mette en avant l'acception nationale ou religieuse » (Bernard Antony), « Selon qu'on y réussisse ou qu'on y échoue » (Roger-François Gauthier). Influence de la locution soit que… soit que... comme de la plupart des connecteurs exprimant la condition (à moins que, pour peu que, pourvu que, en admettant que, à supposer que, à la condition que, etc.), lesquels appellent le subjonctif ? Hypercorrection ? Snobisme ? Effet de mode ? Il n'est que de parcourir la Toile pour s'apercevoir que la tendance est plus lourde qu'il n'y paraît : « Selon qu'il soit terrestre ou marin » (Le Figaro), « Selon que vous ayez 18 ou 74 ans » (L'Express), « Selon qu’on soit Hondurien ou Allemand » (Libération), « Selon que le tarif de base soit de 25 euros ou passe à 30 euros » (Le Point), « Selon qu'il s'agisse d'une administration en contact avec les citoyens, d'entreprises publiques ou semi-étatiques, ou encore à caractère industriel » (Le Monde), « Selon que vous soyez accidenté du travail ou élu absentéiste » (Marianne), « Selon qu'il soit élevé ou non » (Atlantico), « Selon que l'on choisisse les termes de la direction ou des syndicats » (Les Échos), « Selon qu'on soit un homme ou une femme » (Femme Actuelle).
De là à se limiter aux seules formes communes à l'indicatif et au subjonctif, histoire de ne froisser aucune susceptibilité...
(1) Exemples au conditionnel : « Selon que leur audace desbridée les transporterait » (Calvin), « Les sommes affectées à ses fondations devaient être augmentées selon que s’accroîtrait sa fortune » (Fernand Gregh), « On emploierait l'un ou l'autre selon que l'on parlerait d'un homme à qui le changement de milieu a été mauvais, ou d'un homme qui a trouvé une nouvelle vigueur par le fait même de sa transplantation en un terrain nouveau » (Gide), « Je l'accueillerais ou le blâmerais selon qu'il viendrait ou non » (Hanse).
Remarque : La question posée par Brigitte Bloch dans La Grammaire en folie (2005) : « Étant donné qu'il plane un doute sur selon que, pourquoi utilise-t-on l'indicatif après ? » est symptomatique de la confusion qui règne actuellement sur ce sujet.
Ce qu'il conviendrait de dire
Au singulier ou au pluriel, selon qu'il est adjectif ou substantif.