« La perspective de la fusion entre l'impôt sur le revenu et la CSG, promise par François Hollande en 2012 mais mise de côté depuis, est "quelque chose sur laquelle nous devons travailler", a aussi estimé M. Le Roux. »
(dépêche AFP parue sur lepoint.fr, le 24 mai 2015)
(Bruno Le Roux, source : www.saint-ouen-socialiste.fr)
Ce que j'en pense
La chose ne vous aura pas échappé : ce n'est pas parce que chose est du féminin qu'il en va de même de quelque chose. Il convient en effet de bien distinguer le nom − digne représentant du beau sexe − des locutions composées avec celui-ci (autre chose, grand-chose, peu de chose, quelque chose, où chose a perdu sa valeur de nom et son genre étymologique), lesquelles fonctionnent comme des pronoms indéfinis neutres (selon Grevisse, Bescherelle et Girodet) ou masculins (selon Littré (1), Thomas, Capelovici, Larousse et Robert). Quelle que soit l'analyse retenue, l'accord se fait au masculin (singulier), en tant que genre indifférencié à valeur de neutre : C'est une chose entendue mais Quelque chose a été entendu ; « Toujours son ironie, inféconde et morose, Jappait sur les talons de quelque grande chose » (Victor Hugo) mais Il a fait quelque chose de grand (l'adjectif masculin qui qualifie quelque chose étant toujours précédé de la préposition de).
Le journaliste de l'AFP pourra toujours se consoler en constatant que le cours des choses, en la matière, fut plus mouvementé qu'il n'y paraît. Ainsi apprend-on dans la Grammaire française de Paul Crouzet que, au XVIIe siècle notamment, chose, même en fonction de pronom, gardait le genre et la construction du nom : « Je vous voulais tantôt proposer quelque chose, Mais il n'est plus besoin que je vous la propose, Car elle est impossible... » (Corneille) ; « Il est rarement arrivé qu'on m'ait objecté quelque chose que je n'eusse point du tout prévue » (Descartes) ; « Quand j'ai dans la bouche quelque chose meilleure que le silence » (Guez de Balzac) ; « Cela n'est-il pas merveilleux [...] que j'aie quelque chose dans la tête qui [...] fait de mon corps tout ce qu'elle veut ? » (Molière). Mais l'usage, par la force des choses, a fini par considérer quelque chose comme ne formant qu'un seul mot, devenu en quelque sorte le neutre de quelqu'un. Force est toutefois de constater que des écrivains modernes continuent − par snobisme ou par archaïsme ? − de traiter quelque chose comme un féminin, renouant ainsi avec la tradition classique : « Il y a quelque chose plus précieuse encore » (Valéry) ; « Quelque chose la retenait-elle encore à Farm-Point ? » (Simenon) ; « se sacrifier pour quelque chose dont on ne savait rien, sinon qu'il fallait mourir pour qu'elle soit » (Camus) ; « Il [...] voulut dire quelque chose, puis se mit à rire sans l'avoir dite » (Duras).
Quelque chose me dit pourtant qu'il vaut mieux s'en tenir, dans notre affaire, à l'usage contemporain... lequel, vous ne l'avez que trop compris, continue d'hésiter entre le neutre et le masculin pour notre locution. Et voilà que les choses se compliquent. C'est que ledit flottement n'est plus aussi... neutre dès lors qu'il est question du choix du pronom relatif : doit-on recourir à quoi, ainsi que l'exige l'emploi d'un pronom neutre (désignant une chose indéterminée) comme antécédent, ou à lequel, qui sied au masculin ? Bescherelle, tenant d'un quelque chose de genre neutre, recommande logiquement d'écrire « autre chose, pas grand-chose, quelque chose à quoi (sur quoi...) et non auquel (sur lequel...) ». Si la chose paraît entendue pour Hanse (« Il y a quelque chose à quoi je pense »), l'honnêteté m'oblige à reconnaître qu'il n'en va pas de même de tous les spécialistes de la langue. Ainsi l'Académie, qui n'a pourtant pas l'habitude de faire les choses à moitié, peine-t-elle à se décider entre les deux constructions. Ne lit-on pas dans la neuvième édition de son Dictionnaire : « l'empêcher ainsi de parler de quelque chose sur quoi l'on veut qu'il se taise » (à l'entrée « bâillon »), « Donner quelque chose à quoi on ne tient pas » (à l'entrée « refiler »)... mais « Revendiquer, demander quelque chose auquel on a ou on croit avoir droit » (à l'entrée « réclamer ») ? La même confusion sévit du côté du Larousse électronique : « Qui s'accorde avec quelque chose à quoi il est destiné » (à l'entrée « conforme ») mais « Action de réclamer quelque chose auquel on estime avoir droit » (à l'entrée « réclamation »)... ou encore de nos écrivains : « J'avais arraché de moi quelque chose à quoi je tenais » mais « quelque chose pour lequel je ne trouve que le mauvais qualificatif d’"ineffable" » (Mauriac). Goosse, le continuateur de Grevisse, a beau affirmer que l'emploi de lequel avec quelque chose pour antécédent reste « exceptionnel » ; Riegel, Pellat et Rioul ont beau marteler dans leur Grammaire méthodique du français que « lorsque l'antécédent est un pronom neutre ou indéfini ne représentant pas un être humain (cela, quelque chose, rien) le pronom à utiliser comme relatif est exclusivement quoi », les choses en sont là... Autant dire qu'elles n'ont pas fini de nous laisser tout chose !
(1) À en croire Littré, « quelque chose est devenu masculin à cause du sens vague qui y est attaché ».
Subtilités
Y a-t-il quelque chose de bon à manger ? mais Y a-t-il quelque bonne chose à manger ?
Quelque chose à quoi il faisait référence mais Ce (petit) quelque chose auquel il faisait référence.
Remarque 1 : Même quand quelque chose est senti comme un seul terme, il s'écrit en deux mots.
Remarque 2 : Si quelque chose, au sens de « une chose », est ordinairement du genre neutre ou masculin (Si tu veux quelque chose, je te le donnerai. Un petit quelque chose, substantivement), il garde sa valeur de féminin quand il signifie « quelle que soit la chose » : Quelque chose que vous lui disiez, il ne la croira pas.
Remarque 3 : Pour Vaugelas, qui reconnaissait qu'il était « beaucoup plus fréquent, plus François, et plus beau de donner un adjectif masculin à quelque chose », c'est l'oreille qui détermine le choix du genre. Reste que l'exemple sur lequel le grammairien s'appuie n'est guère convaincant : pourquoi le féminin serait-il précisément plus plaisant à entendre que le masculin dans il y a quelque chose dans ce livre qui n'est pas telle que vous dites ? Je vous laisse tirer la chose au clair.
Ce qu'il conviendrait de dire
C'est quelque chose sur quoi nous devons travailler.
C'est une chose sur laquelle nous devons travailler.